La
nouvelle de la présence d’une journaliste marocaine à Bamako se répand.
Les plus curieux ont appris que je réside à l’hôtel Mirabeau, situé au
quartier le Fleuve. Un établissement hôtelier connu pour être le pied à
terre des journalistes étrangers venus faire des reportages au Mali.
Après la nouvelle du report de la
visite royale, les premiers visiteurs
commençaient à venir. Le Président du Comité
Africain de Soutien à SM le Roi Mohammed VI (CASRM
VI), Modibo Sidibé, et la secrétaire
générale, Diop Aïssa Maïga, ont
demandé à me rencontrer. Ils voulaient avoir
la confirmation de ce report et s’assurer que ce n’était
pas une annulation. Ils vouent au
Royaume un attachement indescriptible.
Les membres de cette association à but
non-lucratif sont pour la plupart
d’anciens lauréats des écoles et des universités
du Royaume. Pour eux, le Maroc est un modèle d’ouverture,
de modernité et d’émancipation de la
femme. À part les préparatifs de
la visite royale, le CASRM VI a toujours
milité pour l’intégrité territoriale du Maroc.
Il est vrai que le Mali avait en 1976 reconnu
la république sahraouie (RASD)
proclamée par le Polisario. À cette période,
le Maroc avait cessé toutes relations diplomatiques avec
les autres pays africains ayant adopté
la même position sauf avec le Mali,
affirme l’ambassadeur du Maroc au Mali, R’chock Oubass.
Distances
Parfois,
les décisions politiques ne reflètent pas la volonté du peuple. C’est
manifestement le cas de la décision de Bamako de reconnaître la RASD.
Nombreuses sont les personnalités civiles de tous bords dans ce pays
qui continuent de prendre leurs distances de l’attitude officielle sur
cette question régionale.
• Abderhaman Youba Boujebahi.
La famille Ben Bara en est l’illustre exemple.
Leur grand-père, Sidi Ali, est né et a habité Tindouf,
du temps où cette ville faisait partie du Royaume du Maroc, mais
actuellement située de l’autre côté de la frontière
algéro-marocaine. Commerçant influent, il avait une grande
notoriété. Il entretenait des correspondances régulières
avec le Sultan du Maroc. En 1910, il a immigré à Tombouctou
pour des raisons professionnelles sans pour autant couper les ponts avec
Tindouf, puisqu’il avait toujours son commerce là-bas. Il
vivait au nord du Mali, jadis Soudan français, en tant que Marocain
et était fier de ses origines.
« La décision du gouvernement français d’incorporer la ville de Tindouf
à l’Algérie au début des années cinquante a beaucoup affligé mon
grand-père. Il a cessé de se rendre à sa ville natale et il a abandonné
tous ses biens », regrette le petit-fils Abderazak Ben Bara, commerçant
de son état, âgé de 42 ans et résidant à Tombouctou.
À l’ouverture de l’ambassade marocaine au Mali, en 1960, la famille Ben
Bara a été reconnue en tant que marocaine. Le petit-fils garde
jalousement le document portant le sceau royal délivré par
l’ambassadeur et prouvant ses origines.
Primes
Après
l’indépendance de l’Algérie, en 1962, les autorités algériennes ont
récompensé des habitants du nord du Mali pour avoir aidé ou accueilli
l’Armée de libération algérienne. Ils ont offert des primes aux
habitants de Tindouf pour les rallier à leur côté. Ils ont même donné à
quelques familles le titre des Moujahidines. Sidi Ali Ben Bara a refusé
de revenir à Tindouf, malgré les appels répétitifs du gouvernement
algérien. Ce titre lui aurait valu un salaire mensuel et un logement de
fonction, mais il a renoncé à tout plutôt que de servir les desseins
des ennemis de sa patrie. « Mon grand-père a toujours dit non. Il était
Marocain et non pas un Algérien. Il ne voulait pas être un traître et
renier sa patrie. Pour tout l’or du monde, il ne l’aurait pas fait. Son
âme était au Maroc et son corps au Mali, et ce ne sont pas des
frontières fictives qui vont modifier les choses. Jusqu’à son dernier
souffle, il a réitéré son attachement et son amour pour le Maroc. Sa
dernière volonté est que nous restions sur la même position et que nous
ne soyons pas des vendus », affirme Abderazzak.
Protection
À
220 km au nord de Tombouctou, en plein milieu du désert, se trouve un
village nommé Boujebaha. Les cinq cents habitants qui y vivent sont
d’origine marocaine. Il y a déjà trois siècles qu’ils s’y sont
installés. Jusqu’au début du vingtième siècle, ils ont vécu sous la
protection du Sultan du Maroc et ont été exonérés d’impôt. Ils ont
toujours entretenu des relations très étroites avec leurs ancêtres
marocains et conservent de nombreux documents et lettres historiques.
Ces nomades vivent dans le dénuement le plus total. Leurs habitations
sont construites en terre et leur village ne dispose d’aucune
infrastructure. Ni école, ni hôpital, ni souk. Ils font leur marché
mensuel à Tombouctou à dos de chameaux. Ce qui demande beaucoup de
temps. Environ dix jours aller-retour. Abderhaman Youba Boujebahi, l’un de ces villageois,
commerçant à Bamako, est le seul à posséder une voiture tout terrain.
De temps en temps, il rend visite à ses parents et profite de la même
occasion pour faire les courses et s’enquérir des nouvelles des siens.
Il est la seule personne qui les relie à la civilisation. Malgré leur
mode de vie rudimentaire, les habitants de Boujebaha ont gardé les
traditions et les coutumes de leurs ascendants. La pancarte située à la sortie du village
indiquant 52 jours à dos de chameaux de Tafilalet est le témoignage le
plus éloquent de leur attachement à leurs origines. Leur seul regret
est que le cordon ombilical avec le Maroc soit coupé. Malgré leurs
multiples demandes pour renouer les rapports, ils n’ont pas reçu
d’échos.
Passion
La
ville qui porte au plus profond de son âme la passion du Maroc, c’est
Tombouctou. « Exquise, pure, délicieuse, illustre cité bénie… », comme
l’a décrite le chroniqueur Abderrahman Saâdi, auteur du Tarikh
es-Soudan. La cité mystérieuse continue à manifester une grande
affection pour le Maroc. Sous la dynastie des Saâdiens, en 1591, le
Sultan de Marrakech avait envoyé une expédition militaire pour
conquérir le Soudan. Voici cinq siècles déjà, Tombouctou était l’agora
des négociants et des banquiers. Près de douze mille chameaux, chaque
année, transitaient par cette cité. Centre de ralliement des chameliers
du Sahara et des bateliers du Niger. Du Maghreb et du Sahara affluaient
les chargements de sel, d'épices, de soie, de cuivre ou d'étain. Du sud
arrivaient des pirogues entières de noix de kola, d'or, d'ivoire, de
plumes d'autruche et d'esclaves. Tombouctou était aussi la ville du
savoir. La mosquée de Sakoré abritait une medersa au rayonnement
international où des étudiants de tout le monde musulman venaient
compléter leurs connaissances. Des jurisconsultes marocains de Fès
faisaient le voyage de Tombouctou pour renouveler leur savoir. La perle du désert a gardé
les traces de la civilisation marocaine. Des familles d’origine
marocaine y vivent encore. « On les appelle les familles chérifiennes
parce qu’elles ont une descendance royale. Leurs femmes ont conservé
l’élégance et le savoir-faire des femmes marocaines. Les habitants de
Tombouctou ont une grande affection pour leurs grands-pères. Le report
de la visite royale les a beaucoup infligés. Car, ils avaient
confectionné des pagnes, des banderoles, des tee-shirts à l’effigie de
SM et des drapeaux du Maroc », déclare Diop Aïssa Maïga.
Lors de la Coupe d’Afrique des Nations de football (CAN) qui s’est
déroulée au Mali en 2002, les fenêtres et les toits
des maisons à Tombouctou étaient ornés du drapeau
marocain. Ces manifestations de joie et de soutien au Maroc n’auraient
pas pu se faire, il y a une vingtaine d’années sous le règne
du dictateur Moussa Traoré, mais aujourd’hui avec le vent
de démocratie qui souffle sur le Mali, les cœurs s’ouvrent
et les langues se délient. |