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9 mars 2006

LES RACINES HISTORIQUES D’UN CONFLIT

Avant d’en venir à la genèse du Front Polisario et à son évolution, il est nécessaire (même si, répétons-le, il ne s’agit pas ici d’envisager la problématique du Sahara occidental dans son ensemble) de rappeler brièvement quelles sont les bases géographiques et historiques du conflit.

II.1. Le contexte géographique

Le Sahara occidental (nous emploierons cette désignation internationalement reconnue pour désigner ce territoire contesté) s’étend sur une surface d’environ 265.000 km² de territoire désertique regroupant les régions de la Saguiet al-Hamra au Nord et de l’Oued al-Dahad (anciennement Rio de Oro) au Sud.

Les villes principales sont : Laâyoune (Al-Ayun), Dakhla et Smara. La population est difficile à quantifier exactement, les chiffres variant suivant que l’on se réfère à l’une ou l’autre source. Elle doit toutefois avoisiner les 300.000 âmes. La population locale était, historiquement, formée de tribus d’origine berbère dont les plus importantes sont les R’Gueïbat, les Ouled Delim et les Ouled Bou Sba. Ces tribus s’organisent en fractions, sous-fractions et clans. Les langues locales sont l’arabe et le dialecte Hassani (ou Hassaniya) également parlé en Mauritanie.

Le Sahara occidental est dépourvu d’industries mais riche en ressources naturelles - phosphate, cuivre, fer - et ressources halieutiques accessibles depuis les quelque 1.400 kilomètres de côte. Par ailleurs, des travaux de prospection pétrolière seraient toujours en cours dans la région.

II.2. Le contexte historique
Les Sahraouis étaient organisés en tribus de nomades et pasteurs se déplaçant sur une vaste zone qui dépasse les frontières internationales aujourd’hui reconnues. Une assemblée tribale, le djemaâ, permettait aux chefs de fractions de se concerter avec le Cheikh dirigeant chaque tribu. La plupart des tribus faisaient allégeance aux sultans du Maroc.

En 1884, durant la colonisation partielle du Maghreb, le Sahara occidental s’est vu occupé par les Espagnols, qui débarquèrent des troupes à Dakhla (rebaptisée Villa Cisneros). La région connut alors plusieurs décennies d’agitation jusqu’en 1934, date de sa pacification définitive. La colonisation espagnole était pourtant relativement discrète et se bornait au contrôle du littoral (à l’époque, seules les ressources halieutiques intéressaient Madrid). Administrativement, le Sahara espagnol était partagée en une zone sous occupation militaire (Saguiet al-Hamra, au Nord) et une zone colonisée (Rio de Oro, au Sud). Les frontières seront fixées par Madrid et Paris en 1886 et 1934. La colonisation espagnole se caractérisait par la volonté de pousser vers le Nord (occupation de Tarfaya, en 1919) et de contrôler totalement les côtes (installation d’un détachement militaire à Laâyoune en 1935). Cette période fut marquée par différents mouvements d’exode vers le Maroc, certaines tribus ou fractions cherchant à fuir la puissance occupante et à se placer sous la protection des sultans.

Peu avant la colonisation espagnole, le Maroc avait déjà perdu une partie de la frange orientale de cette région au profit de la France. Après la prise d’Alger par les troupes françaises, en 1830, le Sultan Moulay Abd al-Rahman avait en effet entrepris de soutenir l’Émir Abd el-Kader qui résistait à l’envahisseur. Après une quinzaine d’années d’escarmouches avec les troupes d’Abd el-Khader qui trouvèrent refuge au Maroc, la France déclara la guerre au royaume chérifien et, le 14 août 1844, le Général Burgeaud défaisait les troupes marocaines commandées par Moulay Muhammad (fils du Sultan) sur l’Oued Isly. La défaite marocaine ouvrait la voie à une révision des frontières concrétisée par le Traité de Lalla Maghnia qui, le 18 mars 1845, annexait à l’Algérie française Tindouf, le Touat, la Saoura et Tidikelt.

Parallèlement à cette évolution dans la région saharienne, la fin du dix-neuvième siècle était marquée par un net affaiblissement du pouvoir des sultans.
L’endettement, la pénétration ininterrompue des marchands européens, les famines et les épidémies minaient le pouvoir et la base sociale traditionnelle du Makhzen (le Makhzen ou Maghzen désigne le système politique complexe basé sur le serment d’allégeance des chefs tribaux au sultan). Faute d’une armée forte et bien encadrée et de finances saines, Rabat ne peut plus continuer à résister à la pression coloniale française. L’acte final de la Conférence d’Algesiras, signé le 7 avril 1906, place le royaume du Maroc sous protectorat international. Six ans plus tard, à quelques semaines près, le 30 mars 1912, le Traité de Fès remplace le protectorat international par un protectorat purement français, un « Résident général » assumant la réalité du pouvoir.

Durant la seconde partie du vingtième siècle, des milliers de Sahraouis participèrent à la lutte du Maroc – notamment au sein de l’aile sud de la Jaïch at-Tahrir, l’Armée de libération nationale, (ci-dessous ALN-Sud) pour recouvrer son indépendance et, dès que celle-ci fut acquise, le 3 mars 1956, le Roi du Maroc, Mohammed V, faisait valoir des droits historiques et réclamait le retour des territoires sous contrôle espagnol dans le Makhzen. En 1963, c’est donc à la demande du Maroc que le Comité spécial de décolonisation de l’ONU inscrira le Sahara espagnol dansla liste des territoires devant être décolonisés. Mais dès 1958, l’ALN-Sud, qui harcelait les forces espagnoles, notamment autour de Tarfaya, avait été anéantie par une offensive combinée franco-espagnole, l’Opération Écouvillon. L’écrasement de l’ALN-Sud provoquait un nouvel exode sahraoui vers le Nord.

A partir de la fin des années cinquante, toutefois, l’Espagne, soumise à une pression de plus en plus intense de la communauté internationale, commençait à rétrocéder les territoires occupés au Maroc :

*1956 : Rétrocession de la région du Nord (Tétouan, Nador).
*1958 : Rétrocession de la région de Tan Tan et Tarfaya.
*1969 : Rétrocession de Sidi Ifni.

En 1974, suite à un débat au sein de l’Assemblée générale de l’ONU, la Mauritanie s’associait au Maroc pour saisir la Cour internationale de Justice de la Haye (l’Algérie et la Tunisie appuyaient cette procédure) et celle-ci rendait un jugement reconnaissant que des liens d’allégeance avaient existé entre les tribus du Sahara et les sultans du Maroc. Pour sortir de l’impasse d’une décolonisation qui traînait, le Roi Hassan II lançait, en octobre 1974, la Marche verte, rassemblant pacifiquement 350.000 hommes et qui devait hâter le retrait espagnol qui se termina en février 1976 : en 1975, la puissance coloniale quittait la Sakia El-Hamra (Laâyoune, Smara) puis l’Oued Eddahab (Dakhla), d’abord annexé à la Mauritanie avant de revenir au Maroc en 1979.

L’ONU, toutefois, refusait de reconnaître la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental qu’une faction indépendantiste, soutenue par le bloc communiste et les non-alignés, entendait transformer en État souverain.

Voilà pour les faits bruts. Reste à les interpréter. Notre but, répétons-le, n’est pas de nous livrer à une étude exhaustive de la question du Sahara occidental, mais bien de tracer le cadre général dans lequel est né et s’est développé le Front Polisario. Deux arguments sont, en général, avancés par le Front et ceux qui le soutiennent pour justifier la revendication indépendantiste : celle de l’existence d’une «nation sahraouie » et, a contrario, de l’inexistence dans le passé d’un «royaume du Maroc » qui aurait eu quelques pouvoirs sur la région.

Nous ne trancherons pas, ici, ces deux questions, mais nous contenterons de souligner que ces affirmations sont, pour le moins, sujettes à discussion. Ainsi, pour ce qui est de la « nation sahraouie », l’économiste Anthony Hodges, qui travaille depuis vingt ans sur les problèmes de développement et de minorités en Afrique, estime que : « Le Sahara occidental n’a jamais constitué une nation avant sa colonisation et le nationalisme actuel est un phénomène très récent, qui ne s’est manifesté qu’aux derniers moments de la période coloniale espagnole5 ».

Par ailleurs, on remarquera que si la « nation sahraouie » existe bien, s’agissant d’une nation formée de tribus nomades, la question de son « autodétermination » ne peut être réglée dans le seul cadre étroit du Sahara occidental mais devrait l’être en prenant en compte l’ensemble de l’aire de nomadisme traditionnel des tribus concernées. En clair, un État sahraoui se devrait, dès lors, d’englober une partie du Sud du Maroc, du Nord de la Mauritanie ou du Sud-Ouest de l’Algérie. En bref, c’est l’ensemble des frontières de la région qui devrait être revu, ce quisemble pour le moins difficile à imaginer.

Quant à « l’inexistence du Maroc en tant qu’État constitué», cet argument est régulièrement avancé par le Front Polisario et ses alliés. Ainsi, le 22 juillet 2002, Mme Martine de Froberville, Présidente du Comité sur le Sahara occidental (France) écrivait : « Par ailleurs tous les africanistes et politiques savent pertinemment que le Maroc n’existait pas en tant qu’État avant la colonisation…6»

Or, même si la nature exacte de l’État marocain, sa puissance et l’étendue réelle du pouvoir des sultans restent des sujets d’études, la réalité est exactement contraire à cette affirmation péremptoire : le Maroc a existé en tant qu’État, sous diverses formes et dynasties depuis le Moyen Âge, et la dynastie alaouite à laquelle appartient l’actuel souverain, Mohammed VI, règne sur le Maroc depuis le dix-septième siècle. Le nom même de Maroc « apparaît, semble-t-il, sous les Saâdiens, dynastie ayant régné de 1554 à 1659. Il serait le résultat de la contraction du nom de la ville de Marrakech, la principale de leurs capitales. Auparavant, pour désigner le Maroc, on parlait de Maghreb al-Aqça ou Maghreb extrême7 »

Le Général Lyautey, premier Résident français à Rabat, devait d’ailleurs écrire: « Au Maroc, nous nous sommes trouvés en face d’un empire historique et indépendant, jaloux à l’extrême de son indépendance et rebelle à toutes servitudes qui, jusqu’à ces dernières années, faisait figure d’État constitué, avec sa hiérarchie de fonctionnaires, ses représentations à l’étranger…8 »
Feu Albert Hourani, spécialiste britannique reconnu du monde arabe, qui a passé toute sa carrière d’enseignant à Oxford, partageait cet avis autorisé. Dans un chapitre de son Histoire des peuples arabes, consacré à l’extension de l’empire ottoman, il écrivait : « « A l’extrémité occidentale du Maghreb, au-delà des frontières de l’Empire, un État d’un tout autre type existait depuis très longtemps: l’Empire du Maroc9 ». Et Hourani soulignait que cet empire, même s’il a connu des périodes de désorganisation, disposait bien de tous les attributs d’un État: une Cour, des ministres, une armée…

Autre attribut incontestable de la souveraineté des États, le Maroc disposait, ainsi que le remarquait Lyautey, de représentations diplomatiques. Nous n’en prendrons qu’un seul exemple. Le sultan du Maroc a reconnu les Etats-Unis d’Amérique dès 1777, et des relations diplomatiques formelles entre les deux États furent ouvertes dès 1787, lorsque fut négocié un traité de paix et d’amitié: « Renégocié en 1836, ce traité reste en application et constitue le traité de relations internationales le plus ancien de l’histoire américaine. Témoignage de la nature particulière des relations entre les Etats-Unis et le Maroc, Tanger abrite la plus ancienne propriété diplomatique américaine au monde. Et le seul bâtiment se trouvant en sol étranger inscrit au registre national américain des lieux historiques : la légation américaine à Tanger10 ».

Mais si État marocain il y a eu, celui-ci englobait-il la région aujourd’hui désignée sous le nom de Sahara occidental ? On l’a vu ci-dessus, en 1974, la Cour internationale de Justice de La Haye reconnaissait l’existence de liens d’allégeance passés entre chefs de tribus sahraouis et sultans du Maroc. Le professeur Bernard Lugan, enseignant l’histoire contemporaine de l’Afrique et auteur, sur le Maroc, d’une somme qui fait autorité11, écrivait il y a 18 mois : « En 1200 ans d’histoire [l’influence du Maroc] s’est exercée dans trois directions: […] Vers le Sud, en direction de l’Ouest africain, ou Bilad al-Sudan (littéralement le « pays des Noirs »), la souveraineté marocaine était effective quand l’État était puissant. Elle était illustrée par la levée périodique de l’impôt et par la nomination d’autorités administratives (caïds, pachas et gouverneurs). Elle se limitait en revanche à une influence religieuse, économique et culturelle quand le pouvoir des sultans était affaibli. Cependant, à aucun moment, les régions composant le Sahara occidental ne cessèrent de faire partie de la marocanité12 ».

Le même auteur remarque encore que « Dernière preuve et non la moindre dans le système constitutionnel marocain, la prière du vendredi était dite au nom du Sultan du Maroc

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