Cinquante ans après l'indépendance...
De notre envoyé spécial Serge
Raffy Serge Raffy
24 février. « Gouverner, c'est pleuvoir »
Dans
l'autobus Casablanca-Marrakech. La pluie tombe sans discontinuer. Un
crachin anglais, serré et lancinant. Sous le ballet des essuie-glaces,
Brahim, le chauffeur, chante à tue-tête. Il est heureux comme un
enfant. Comme la plupart de ses passagers marocains. Il remercie le
ciel qui pleure. Est-ce une prière, un chant ? Il invoque le Très Haut
et la bonne période que traverse le pays. Oui, Allah est en train de
donner un sacré coup de main au gouvernement et au roi, Mohammed VI.
Car, au Maroc, la pluie change tout. Et elle tombe depuis des jours.
Des villages les plus reculés de l'Atlas ou du Rif, des tours de verre
de Rabat, des plages d'Essaouira, des dunes de Zagora, elle rend l'âme
joyeuse et « donne la confiance ». La pluie est bonne fille. Elle ne
fait pas de discrimination. Elle arrose tout le monde. Les agriculteurs
et les citadins. Les riches et les pauvres. Les saints et les voyous.
Elle agace le touriste et ravit l'autochtone. Elle signifie prospérité,
abondance, paix sociale. En période de pluie, les courbes de
consommation grimpent autant que durant les fêtes de l'Aïd. Et la
Bourse de Casablanca flambe comme jamais.
Alors Brahim chante. Tout près
de Benguerir, dans le village de Mechraa Abbou, il décide de faire une
halte pour montrer à ses « hôtes » les eaux tumultueuses du fleuve Oum
er-Rbia (« la mer du printemps »). Les villageois se précipitent vers
le bus, les bras chargés des poissons qu'ils ont pêchés au petit jour.
Tanches, gardons, carpes, à profusion. L'oued, le fleuve, n'a jamais
connu pareille fête. En quelques minutes, tout est vendu. Brahim
exulte. Ce soir, à Marrakech, il apportera un brochet à ses enfants.
Coût : 20 dirhams, l'équivalent de 2 euros. «Pour comprendre cette
euphorie générale, il faut savoir qu'ici, au Maroc, des régimes
politiques, des dynasties se sont effondrés à la suite de grandes
sécheresses, raconte Mohammed el-Faïz, professeur à l'université de
Marrakech, auteur des « Maîtres de l'eau » (1), ouvrage sur l'histoire
de l'hydraulique au Maroc. Les Almohades, par exemple, qui régnaient
sur un royaume dont les deux grandes capitales étaient Marrakech et
Séville ont disparu à la suite de terribles sécheresses. Hassan II a
connu, lui aussi, des moments difficiles à cause du manque d'eau.
Toutes ces données sont inscrites dans la conscience populaire. Alors
quand la pluie tombe, le pays rayonne.» Du temps du protectorat
français, le maréchal Lyautey avait lancé cette formule célèbre : «Au
Maroc, gouverner, c'est pleuvoir.»
25
février. 10 millions de touristes en 2010
Il
pleut sur Marrakech. Place Djamaâ el-Fna, au coeur de la ville-jardin,
sur cette immense esplanade touristique - qui signifie l'« allée des
morts », place de Grève où l'on exécutait les criminels -, les
saltimbanques de tous poils, charmeurs de serpents, dresseurs de
singes, conteurs, s'activent devant des milliers de touristes à la
tombée du jour. Mustapha, 15 ans, est la fierté des policiers de la
brigade touristique. Il y a trois ans, il était pickpocket, mendiant,
faux guide, faux gardien de parking. Il gagnait misérablement une
poignée de dirhams pour survivre. Il venait d'un petit village de
l'Atlas, du côté d'Oukaimeden, chassé par sa famille de paysans, trop
pauvres pour le nourrir. Très vite, il a intégré une petite bande
d'enfants des rues, a passé deux mois en prison, puis a bénéficié d'un
programme de réinsertion. Il a fini par obtenir son brevet de guide
officiel. La médina, la mosquée de la Koutoubia, la Palmeraie et ses
villas luxueuses, «comme à Hollywood», les centaines de riads, ces
petits palais privés transformés en chambres d'hôte, souvent par des
Français, les souks, cette planète magique de la « Perle du Sud »,
Mustapha en connaît tous les recoins, toutes les rumeurs aussi. Il peut
vous conduire au Pavillon, le restaurant où Oliver Stone, Hugh Grant,
Colin Farrell viennent dîner quand ils sont de passage, il peut vous
susurrer le nom de la boîte de nuit où descend Jamel Debbouze. Il peut
vous annoncer que la Mamounia, le fameux palace où dorment les stars du
cinéma américain, va fermer neuf mois pour travaux de restauration.
Mounir y a vu entrer Zidane, son idole, et toute sa famille. David
Beckham aussi. Les beautiful people devront émigrer vers d'autres
palais, comme le Ksar Char Bagh, sublime reconstitution de l'Alhambra
de Grenade, au coeur de la Palmeraie. Dans ce palais d'hôte qui semble
avoir été construit par un architecte almoravide, les milliardaires en
mal de discrétion viennent goûter aux plats de Damien Durand, jeune
chef au look baba cool, sorti de chez Ducasse, Hermé et Robuchon.
Mustapha
a un rêve. Revenir dans son village, à 80 kilomètres de Marrakech, et
ouvrir un magasin de... location de skis. A Oukaimeden, plus haute
station d'hiver de l'Afrique, le gouvernement a lancé un projet
immobilier pour attirer la gentry internationale. Un groupe des Emirats
compte investir des millions de dollars dans une usine de neige
artificielle pour ouvrir un domaine skiable « à l'autrichienne », à
perte de vue, qui fonctionnerait en toute saison. Objectif des pouvoirs
publics : faire de cette région de l'Atlas un nouveau Megève. Utopique
? Dans le cadre du plan Azur, programme ambitieux orchestré par le roi,
qui vise à attirer 10 millions de touristes au Maroc en 2010, la wilaya
de Marrakech est en première ligne. Ambition des décideurs marocains :
faire de cette région la Floride de l'Afrique. Avec des touristes
plutôt haut de gamme. Leurs activités sur place ? La plage à Essaouira,
le ski à Oukaimeden, la culture et le golf à Marrakech. Palm Springs
aux portes du désert. Gstaad, Saint-Tropez et Miami dans le même
packaging. Projet babylonien. Le tout dans un rayon de 100 kilomètres.
«Ce n'est pas un caprice, explique Mounir Chraibi, wali (préfet) de la
région de Marrakech. Ces grands programmes ont pour seul objectif la
bataille de l'emploi. Nous ne pourrons sortir notre pays des
difficultés qu'il traverse qu'avec une ambition qui est celle de
procurer un travail à chaque Marocain.» A Marrakech, la prospérité
passe par le palmier. « Nous avons créé une pépinière de 15 hectares,
dit Omar el-Jazouli, le maire de la «Perle du Sud». Nous allons
produire 80 000 pieds par an. » Il faut protéger la ville-jardin dans
l'immense chantier à ciel ouvert qu'est devenu Marrakech. Des
programmes immobiliers fleurissent par dizaines, les grands groupes
hôteliers mondiaux investissent (lire notre article p. 28). Montant de
cette manne en 2005 : 3 milliards d'euros.
Mounir Chraibi fait
partie des jeunes quadras qui ont décidé de « rester au pays ». Diplômé
de Polytechnique en France, il aurait pu, comme de nombreux membres de
l'élite marocaine, pantoufler dans un grand groupe français ou
européen. Ici, il gagne cinq à dix fois moins que ses camarades qui ont
choisi le privé. Lucide, pragmatique, il connaît les difficultés du
Maroc, l'héritage des années de plomb (voir l'article de Sara Daniel,
p. 20), les dangers de l'islamisme (voir l'article de Farid Aïchoune,
p. 22), le drame de l'analphabétisme en zone rurale, la situation
encore fragile des femmes malgré la loi sur l'égalité des sexes, la
moudawana imposée par le roi. Mais il tente le pari du développement
par le tourisme. Son rêve, comme tous ceux qu'on nomme ici la
génération « M6 » ? L'émergence d'une classe moyenne qui produira de la
citoyenneté, donc de la responsabilité, donc de l'honnêteté, donc de
l'éducation, donc de la démocratie réelle. Après la « Marche verte » de
Hassan II dans les années 1970, la « marche bleue » de Mohammed VI...
26 février. Le Maroc est une île
Village
de Tahanaoute, tout près de la vallée de l'Ourika, dans le Haut Atlas.
Mohamed Mourabiti est un chef d'entreprise singulier. Il fabrique et
vend des bâches pendant la journée. Le soir, il peint des oeuvres
abstraites qui commencent à se vendre. Mais ce hobby ne lui suffit pas.
Il vient d'ouvrir un lieu pour artistes, Al-Maqam, une Villa Médicis
perdue dans les oliviers avec cellules monacales, ateliers, piscine.
Avec son ami, l'écrivain Mohamed Nedali (2) qui habite au village, il
disserte du Maroc mythique, de son histoire ballottée entre l'Orient et
l'Occident. Et de cette étrange sensation d'insularité qui habite le
Marocain. L'idée surgit au détour de la conversation : le Maroc est une
île. Une terre entourée de mers : la Méditerranée, l'Atlantique et le
Sahara. La mer de sable n'est pas la moins présente. Elle isole,
encercle, donne le tournis, envoûte, vous rend perméable et prêt au
départ. «C'est un très joli mythe véhiculé par Tahar Ben Jelloun, dit
Mohamed Nedali, mais je ne suis pas d'accord avec lui. Le Marocain
serait un nomade, un homme qui fuit sa terre vers l'Europe par
prédisposition génétique. Faux. Il part pour se sauver de la faim ou de
la peur, c'est tout. Moi, je ne pars pas. Ici, dans mon village, je vis
avec des paysans d'une immense générosité. Je roule à bicyclette. Je
reste au contact de la vérité de mon pays, quels que soient ses
défauts. Je suis berbère, je peux vous dire qu'aujourd'hui on respire
infiniment mieux qu'il y a dix ans.»
Les deux hommes évoquent la
période des années 1980 où le berbère était interdit à l'école. Depuis
l'avènement de Mohammed VI, le tamazight (le berbère) est devenu une
langue à part entière, introduite dans les programmes publics et dans
les émissions de télévision. On a également mis en avant la darija,
l'arabe dialectal du peuple illettré. «La plupart des gens ne
comprenaient rien au journal télévisé officiel qui était en arabe
classique, raconte Nadfia Essalni, directrice de Yomad, maison
d'édition de livres pour enfants, des contes illustrés tirés de
nouvelles du grand écrivain Driss Chraïbi. Tout doucement la diversité
de notre pays et de notre histoire apparaît clairement. Il n'y a plus
cet empire de l'arabité.» Pour beaucoup, la politique de Hassan II
consistait à laisser le peuple dans l'ignorance, sans instruction,
abandonné à l'obscurantisme des imams wahhabites, pour protéger de tout
soulèvement le palais, le makhzen, selon l'expression populaire.
L'intégrisme, opium du peuple ? Mais la globalisation, internet, les
antennes paraboliques ont fait voler cette stratégie en éclats. «Pas à
pas, nous avançons dans un regard pluriel de notre société, note Fayçal
Laraichi, président des chaînes publiques de télévision. Mais nous le
faisons à notre rythme, avec notre société réelle et pas avec celle que
les voyageurs pressés croient percevoir.» Mohamed Nedali ne fait pas
partie du makhzen, qu'on peut aussi traduire par l'« entourage du roi
», et se considère comme un homme libre. A la fin de l'entretien, il
glisse au visiteur une anecdote : «Hier, je suis allé me promener. J'ai
découvert un étrange spectacle: un enclos parsemé de pierres qui
étaient plantées vers le ciel. Cela n'avait aucun sens. J'ai appelé
l'endroit«le champ des pierres arrogantes». Pour comprendre ce pays, il
faut éviter l'arrogance...»
27
février. Entre islam et « movida »
Au
coeur du palais royal de Rabat, surnommé par l'opposition la « Cité
interdite », à laquelle on accède aujourd'hui en toute liberté. Dans le
bureau d'Ahmed al-Tawfik, ministre des Relations islamiques. Pour
réagir à la menace intégriste, le gouvernement lance une grande
opération de formation accélérée des 35 000 imams du royaume. Le pays
compte 40 000 mosquées. Un guide de l'enseignement coranique va être
distribué à tous avant le 15 avril, puis débattu au sein du Haut
Conseil des Oulémas. Ahmed al-Tawfik, lui-même soufi, romancier à ses
heures (3), professeur d'histoire, a été nommé par le roi, en 2002,
pour remettre de l'ordre dans le « clergé » musulman. Sur la pointe des
pieds. Officiellement le commandeur des croyants, roi de droit divin,
n'a pas de problème avec les imams, puisqu'il est le descendant du
Prophète. Dans les faits, depuis les attentats du 16 mai 2003 à
Casablanca, le virus de l'intégrisme inquiète. «Nous n'avons pas
attendu le 16 mai pour nous intéresser à cette question, souligne Ahmad
al-Tawfik. Nous allons équiper 2 000 mosquées d'écrans de télévision
pour former nos prédicateurs à travers des programmes adaptés à notre
pays.» Autre objectif : utiliser les mosquées comme lieux
d'alphabétisation pour les adultes. Là encore, Mohammed VI supporte le
lourd héritage de son père qui avait laissé libre cours aux « barbus »
par anticommunisme. Résultat : la société marocaine, en dix ans, s'est
repliée dans la religiosité. Les femmes voilées sont majoritaires, sauf
dans les beaux quartiers de Rabat ou de Casablanca. Là aussi, le
pouvoir marocain est engagé dans une course contre la montre.
La
movida marocaine, c'est un peu la danse des modernes sur un volcan en
fusion. «Nous devons faire avancer tous les dossiers en même temps,
souligne Mustapha Bakkoury, directeur de la Caisse des Dépôts et de
Gestion du Maroc. Nous voulons prouver que le Maroc est prêt à monter
dans le train de la mondialisation. C'est vrai, nous sommes pressés,
parce que nous sommes un pays en voie de développement, et que nous ne
voulons pas rester au bord du chemin. Nous avons les capacités pour
réussir. Notre peuple est en train de reprendre confiance en lui. Il a
toutes les capacités pour réussir et pour prouver au monde qu'on peut
allier la modernité avec le respect de nos traditions.» Forme
d'autopersuasion ? Mustapha Bakkoury déplie une immense photo aérienne
du chantier du futur port de Tanger. Un gigantesque projet de dimension
internationale sur la Méditerranée, qui devrait accueillir en 2008 ou
2009, les plus grands tankers du monde. Une immense zone franche jouxte
le port, dans laquelle seraient déplacées les activités industrielles
de la ville de Tanger elle-même, pour lui redonner le lustre et la
légèreté de l'époque de Paul Bowles. Tanger, trait d'union entre le
Nord et le Sud, ne serait plus un simple mirage pour écrivains en quête
d'orientalisme, mais la passerelle industrieuse entre deux mondes.
Comment ne pas souscrire à de si belles ambitions ?
28 février. Le poids des
interdits
Casablanca.
Souk de Derb Ghallef. Ici, c'est l'autre Casablanca, loin du quartier
huppé de la Corniche, des maison Art déco, des clubs privés du bord de
mer qui vous donnent l'impression d'être à Biarritz. Derb Ghallef,
labyrinthe, caverne d'Ali Baba, est le temple de l'économie informelle
de Casablanca. On y vend à peu près tout ce qui existe en matière de
téléphonie et de télévisions à plasma. On y trouve aussi les DVD de Gad
Elmaleh pour 15 dirhams, soit environ 1,5 euro. Quand il vient à « Casa
», sa ville natale, il démarre toujours ses sketchs par « je sais, vous
m'avez déjà vu à Derb Ghallef ». Ici, Gad est une immense star. «Il
parle exactement comme les gens de la rue d'ici, explique Ali Amar,
rédacteur en chef du «Journal hebdomadaire». Il a la même gestuelle.
Les stéréotypes des sketchs de Gad sont tous marocains, surtout les
premiers. Alors que Jamel Debbouze est considéré comme un Français, un
gars des cités.» Surprise : le Marocain moyen n'aime guère les beurs.
Il les trouve arrogants, bruyants, peu respectueux des usages. «Quand
les loulous des cités du 92 ou du 93 débarquent avec leurs BM et leurs
sonos de rap, ils sont très mal vus. Même s'ils sont marocains
d'origine, on les prend pour des Américains, ajoute le journaliste.
Nous avons une certaine idée de notre identité... Même si elle est
compliquée.»
Vous avez dit identité ? C'est l'incontournable
problématique marocaine. Qui sommes-nous ? Des bouts de France, des
bouts de Maghreb, des bouts d'Afrique, des bouts d'Atlantique, des
bouts de Sahara... Comment être citoyen moderne dans un régime
monarchique de droit divin, aussi démocratique soit-il ? Vers quels
chemins se dirige Mohammed VI ? Juan Carlos est-il un modèle ? Ou bien
la monarchie anglaise ? Au royaume chérifien, le débat, sur ce thème,
reste encore impossible. Bâillonnés durant des décennies, les Marocains
font l'apprentissage de la liberté. «Nous sommes dans une situation
schizophrénique, dit Réda Allali, leader du groupe de rock Hoba Hoba
Spirit. Officiellement, l'alcool est interdit par la loi, mais vous
pouvez l'acheter par pack de douze au supermarché. Toujours selon la
loi, l'homosexualité est un crime grave. Elle est passible de prison.
Et en même temps, on commence à parler des livres d'Abdellah Taïa (4),
un écrivain marocain qui se revendique gay. Nous sommes dans un système
de prohibition absurde. C'est ce système qui fournit de la
main-d'oeuvre aux barbus et aux terroristes, pas seulement la misère
matérielle. C'est la misère morale. Ceux qui disent que nous sommes sur
un repli identitaire se trompent. Tout simplement parce nous ne
connaissons pas notre identité.»
1er mars. Faire face à la misère
Quartier
Sidi Bernoussi. Casablanca. Najat M'jid fait une entrée tonitruante
dans l'orphelinat Bayti, dans ce quartier pauvre du nord de Casablanca,
tout près de la gare Ain Sebaa. Depuis dix ans, cette pédiatre en jeans
envoie des équipes mobiles sillonner la ville à la recherche des
enfants des rues.
Dans les squats, dans les gares, partout où les
gosses trouvent des abris de fortune, elle tente de les sortir de
l'enfer. «On compte à peu près 13000 enfants dans les rues des grandes
villes du Maroc, dit-elle. Mais ces chiffres sont discutables, sans
doute trop faibles, car nous n'avons pas vraiment d'instrument de
mesure. Moi aussi, je suis dans une course contre la montre. La plupart
des enfants que je récupère sont analphabètes et n'ont plus aucun
repère social. Le Maroc n'est pas la Colombie, avec ses gangs de gamins
tueurs, mais si nous n'agissons pas vite, nous y allons tout droit.»
Najat M'jid a une grande fierté : Abderrazak, un de ses « filleuls »,
abandonné par sa famille, ancien voleur, a pu vivre grâce au foyer sa
seule et unique passion : les chevaux. Il est aujourd'hui jockey au
haras royal de Mohammed VI. Et les autres ? Autour du foyer Bayti, des
dizaines de douars, des bidonvilles s'étendent le long de la zone
portuaire de Casablanca. «Nous allons à Fès, à Meknès, partout où les
douars se perpétuent, insiste Najat M'jid. Il faut faire vite...Très
vite.» La « marche bleue » ne fait que commencer.
«Marock », c'est à la fois « la Fureur de vivre » et « la
Boum » en version marocaine. A Casa, les rejetons de la bourgeoisie préparent le
bac au lycée Lyautey. Ils se font conduire en cours, puis en boîte par le
chauffeur de papa. Alcool, drague et raids en BMW sur les boulevards : tout
semble permis. Mais quand la jeune Rita (Morjana Alaoui) s'éprend du juif Youri
(Matthieu Boujenah), on frôle le scandale. Et puis l'islam est là, comme un
recours et un opium en cas de coup dur ! Un premier film attachant de la jeune
réalisatrice Laïla Marrakchi présenté l'an dernier au Festival de
Cannes.
(1) Actes Sud.
(2) « Morceaux choisis » et « Grâce à Jean de la Fontaine », Editions Le Fennec.
(3) « L'Arbre et la Lune », Phébus.
(4) « L'Armée du salut », Seuil.
Serge Raffy
La fièvre de Casablanca
«Marock », c’est à la fois « la Fureur de vivre » et « la Boum » en version marocaine. A Casa, les rejetons de la bourgeoisie préparent le bac au lycée Lyautey. Ils se font conduire en cours, puis en boîte par le chauffeur de papa. Alcool, drague et raids en BMW sur les boulevards : tout semble permis. Mais quand la jeune Rita (Morjana Alaoui) s’éprend du juif Youri (Matthieu Boujenah), on frôle le scandale. Et puis l’islam est là, comme un recours et un opium en cas de coup dur ! Un premier film attachant de la jeune réalisatrice Laïla Marrakchi présenté l’an dernier au Festival de Cannes. |
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