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27 février 2006

REFUGIES SAHRAOUIS : ENTRE CATASTROPHE HUMANITAIRE ET MANIPULATION(S) POLITIQUE(S)

Par Claude Moniquet, Président de l’ESISC

Alors que le Front Polisario commémore le 30ème anniversaire de la proclamation unilatérale de la République Arabe Sahraoui et Démocratique (RASD) - qui, à ce jour, n’est toujours pas reconnue ni par les Etats-Unis, ni par aucun pays européen, ni d’ailleurs par d’autres « Grands » comme la Chine et la Russie -, un flou certain règne autour de la situation réelle dans les camps de Tindouf (Algérie) où sont installés plusieurs dizaines de milliers de réfugiés sahraouis, dont certains seraient retenus contre leur gré.

Lire la suite Sale temps pour le Polisario

1) Une situation humanitaire catastrophique

Plusieurs dizaines de milliers de réfugiés des camps de Tindouf vivent depuis plusieurs semaines dans une situation catastrophique.
Le 11 février dernier, on le sait, des pluies diluviennes se sont abattues sur la région de Tindouf (sud-ouest de l’Algérie), autour de laquelle sont concentrés les camps de réfugiés dirigés d’une main de fer par le Polisario. Ces intempéries ont eu des conséquences dramatiques pour les réfugiés. Le Croissant Rouge Sahraoui, dans un communiqué publié le 12 février, affirme lui-même : « Les Campements des réfugiés sahraouis dans la région algérienne de Tindouf sont frappés, depuis le jeudi dernier au samedi 11 février 2006, par des pluies torrides sans interruption et des inondations, qui ont causé des pertes matérielles considérables et plusieurs blessures parmi les réfugiés, ce qui a poussé des milliers de familles sahraouies à quitter leurs abris dans les Campements pour passer les nuits du jeudi à vendredi sur les quelques collines avoisinantes, de peur d'être emportés par les inondations.
Selon les premières estimations des équipes du Croissant Rouge Sahraoui (CRS), plus de 12.000 familles au moins sont devenues sans abris, sachant que les inondations ont emporté le peu de biens et aliments dont elles disposaient, sans oublier que le CRS n'a pas de stocks de tentes et n'avait pas reçu d'aide de ce genre en 2005, ce qui a rendu la situation encore plus difficile. »

1 http://www.arso.org/crs110206.htm#fr

Selon le Haut Comité des Nations unies pour les Réfugiés2, 50 % des logements et « la plupart des infrastructures » auraient été détruits dans trois de ces camps (« Awserd » et « Smara », qui ont été les plus touchés, mais aussi « Laayoun »).
Il nous revient de différentes sources, y compris en Algérie, que la direction centrale du Polisario a mis un certain temps à réagir à cette catastrophe (nombre de dirigeants, semble-t-il, n’étaient pas sur le terrain mais «en déplacement »), ce qui a aggravé la situation des sans abris. La situation a obligé le UNHCR à mettre en place un pont aérien pour venir en aide aux populations sinistrées. Des centaines de tentes ont, entre autres, été fournies, acheminées par avion puis par camion depuis l’entrepôt régional du Comité, en Jordanie, mais aussi depuis Alger et Oran. En tout, l’organisme dépendant de l’ONU prévoyait d’acheminer 200 tonnes de matérielde secours, dont quelque 2.000 tentes.
Quant à la nourriture et aux médicaments, « Leurs réserves ont presque toutes été endommagées ou détruites »3, selon M. Amir Abdulla, directeur du Programme Alimentaire Mondial (PAM) pour la zone Moyen-Orient, Caucase et Europe de l’Est. Cette situation ne peut évidemment avoir que des conséquences désastreuses sur la santé des réfugiés : « Environ 40% de la population est âgée de moins de 14 ans, et l’on estime que 35% des enfants de moins de cinq ans souffrent de malnutrition chronique »4.
Bref, avec la sous-alimentation, le manque de médicaments et la destruction ou l’endommagement des matériels d’adduction d’eau potable, toutes les conditions sont remplies pour voir se développer, à très court terme, des épidémies.

2) Le Polisario attaque les organisations de l’ONU mais épargne l’Algérie

S’exprimant à Alger, au cours d’une conférence de presse, le Président du Croissant Rouge Sahraoui, M. Bouhbini, s’en est pris à l’UNHCR et au PAM, qu’il tenait «pour responsable de ce qui peut découler de cette situation critique »5.
Dénonçant le « silence » de ces deux organisations (ce qui est absolument faux, le premier communiqué de l’UNHCR étant daté du 13 février 2006), M. Bouhbini a tenu à rappeler que « ces ONG agissent, pour leur assistance des Sahraouis, sur la base d’un nombre de 92 000 réfugiés vulnérables»6 alors que son organisation revendique la présence de 158.000 personnes dans les camps. Éternelle querelle sur les chiffres et donc sur la représentativité réelle du Polisario…
M. Bouhbini aurait pu ajouter un « coupable » à sa liste : l’Algérie ou, plus exactement, le Croissant Rouge Algérien (CRA). Dans son édition du 23 février, El Watan nous apprend en effet que « Plus de 4 712 tonnes de dons humanitaires destinés au Polisario sont bloquées depuis près d’une année dans le ports et aéroports d’Algérie à cause de la situation de paralysie qui caractérise le Croissant Rouge Algérien ».7
Ces dons, en provenance d’Autriche, d’Espagne, de Suède, d’Italie et d’Australie, n’ont pu être dédouanés par le CRA. En cause, une obscure querelle pour la prise de contrôle de cette organisation par le ministère de la Solidarité (bien mal nommé). Et peu importe, comme le souligne le quotidien algérois, qu’une partie importantede ces stocks soit constituée de médicaments et de denrées alimentaires périssables. Mais de cela, M. Bouhini n’a soufflé mot.

3) La direction du Polisario se désintéresse de la situation

On aurait pu espérer que, devant une telle crise (ces inondations sont les plus graves que la région ait connues depuis 1948), la direction du Polisario allait prendre ses responsabilités, s’atteler à la reconstruction immédiate de ce qui a été détruit, et aider à mettre en place une politique de prévention des épidémies.
Il n’en est rien. Pour Mohammed Abdelaziz et son entourage, ce qui compte, ce sont les cérémonies du 27 février qui marquent le 30ème anniversaire de la création de la RASD. Alors que toute l’énergie du Polisario aurait du être tournée vers le soulagement des souffrances des populations civiles, elle se concentre depuis plusieurs semaines sur l’organisation de ces festivités. Celles-ci se déroulent à Tifariti, une localité inhabitée dans la zone démilitarisée du Sahara occidental. Les accords de cessez-lefeu de 1991 en interdisent l’accès au Polisario, mais cela ne semble guère émouvoir cette organisation.
A Tifariti, « nous lancerons un message au monde, pour dire que nous existons, que nous résistons encore et que nous fêtons la naissance de notre État sur notre territoire national, en présence de nos amis, de nos
alliés, et surtout de nos forces armées », a ainsi déclaré l’ambassadeur de la RASD à Alger, M. Mohamed Yesslem Beissat9.
Plus grave, d’après la presse marocaine, plusieurs observateurs neutres avec lesquels nous avons pu nous entretenir, des milliers de Sahraouis ont été déplacés vers cette localité afin de servir de « figurants » aux
commémorations, et ce, alors qu’ils sont épuisés, sous-alimentés et manquent de soins, et qu’ils devraient, bien entendu, se consacrer à la reconstruction. Des mécontents auraient, d’ailleurs, manifesté à Tifariti.
Autre « détail » sur lequel le Front devrait s’expliquer: entre un millier et quatre mille tentes auraient été installées autour de Tifariti pour abriter ces déplacés. Or, de l’aveu même des responsables du Polisario (voire cidessus), ces tentes manquaient pour faire face aux besoins de ceux qui ont perdu leur habitation suite aux inondations. S’agirait-il, dès lors, des mêmes équipements que ceux qui ont été acheminés par l’aide internationale et qui seraient ainsi détournés de leur vocation première ?

4) Le Polisario n’aime pas la critique

Reste à faire un constat : les années passent, mais la nature du Front Polisario ne change guère. Confrontée à la critique, l’organisation adopte toujours les mêmes tactiques : elle répond, au mieux en évitant d’aborder de front les griefs qui lui sont faits et, au pire, par la menace et l’insulte. Ainsi, en novembre dernier, l’ESISC avait consacré un rapport très critique au Front10. Immédiatement, nous avons reçu des menaces de mort, dont nous préférons penser qu’elles viennent de quelques esprits égarés et pas du Front lui-même.
Plus sérieusement, nous avons reçu une longue lettre de M. Malainin Ahmed, « Directeur des Affaires politiques et de l’information» au ministère des Affaires étrangères de la RASD 11. Nous accusant d’avoir «compilé la propagande, les mensonges et la désinformation » du Maroc, ce fonctionnaire du Polisario s’interroge sur la réalité de notre existence (« existe-t-il réellement un centre de ce nom ? »). Sur le fond, Malainin Ahmed réitère les positions connues de son organisation, qu’il présente comme « la seule représentation légitime du peuple sahraoui ».
Une affirmation qui est pour le moins discutable : sans nier que le Polisario représente bel et bien une partie du spectre politique sahraoui, il faut bien admettre que ce n’est pas la seule. Au Sahara, par exemple, certains dirigeants locaux ont choisi de dialoguer avec Rabat, sans parler même des « ralliés » qui ont quitté la direction de l’organisation ces dernières années et rejoint le Maroc. Évidemment, pour M. Abdelaziz et ses amis, ceux-là ne peuvent être que des « traîtres » et des « collaborateurs ». Mais sur le fond, à savoir le manque de démocratie interne du Front, les allégations de mauvais traitements aux prisonniers marocains (et aux opposants), la corruption de la direction, l’évolution criminogène d’une partie d’une organisation en pleine déliquescence, aucune réponse !
Certains sympathisants du Front, dans leurs correspondances, ont été jusqu’à nous accuser de nier l’identité sahraouie ou même l’existence d’une question à régler, tandis que d’autres n’ont pas hésité à affirmer tout et n’importe quoi, nous faisant dire, par exemple, que le Polisario était… proche d’Al-Qaïda. C’est évidemment faux, comme s’en rendront compte tous ceux qui prendront le temps de (re)lire notre rapport. Une telle affirmation eut été stupide et nous n’avons jamais écrit de telles sornettes.
Enfin, une bonne part des critiques que nous avons reçues était, en fait, téléguidée par le Polisario lui-même. Celui-ci ne s’en cache guère puisqu’il a mis en ligne sur l’un de ses sites Internet 12 un… modèle de lettre de protestation à nous renvoyer. Une conception, on l’admettra, légèrement stalinienne du débat public et, surtout, un manque de confiance patent dans l’intelligence, l’indépendance de pensée et l’esprit d’initiative de ses sympathisants. Le test, pourtant, fut intéressant, même s’il s’avère, à l’arrivée, plutôt négatif pour le Polisario. On aurait pu s’attendre à ce que des centaines voire des milliers de courriels nous soient envoyés, si le Polisario est bien « la seule représentation légitime du peuple sahraoui ». Mais en définitive, et bien que cette opération de spamming ait été lancée début janvier, nous n’avons reçu, sur une durée de plus de six semaines, que quelques dizaines de mails, et encore, presque tous provenaient de la même adresse de messagerie et n’étaient pas signés. Qui sait, peut-être étaient-ils envoyés par Mohammed Abdelaziz lui-même, lorsqu’il souffre d’insomnie?
Plus curieusement, nous avons été pris à partie par une publication marocaine, Le Journal Hebdomadaire, qui a instrumentalisé notre rapport à des fins partisanes afin de l’utiliser comme une arme dirigée contre les autorités marocaines. Les critiques exprimées par cet organe de presse ne regardent que lui et relèvent de sa liberté.
Comme il est libre de mener sa propre lutte médiatique contre les autorités, s’il estime qu’il fait ainsi progresser la cause de la démocratie au Maroc. Nous n’avons pas accepté, en revanche, de nous voir accusés d’avoir été «téléguidés » voire « payés » par Rabat (de manière assez surprenante pour un journal marocain, ces accusations recoupent celles portées contre nous par le Polisario…) et nous contestons le manque de professionnalisme et de déontologie consistant à attaquer une personne ou une organisation sans prendre la peine de lui donner la parole. Ces insinuations étant diffamatoires, nous avons déposé plainte et, le 16 février, le Tribunal de Première instance de Rabat nous a donné raison et a condamné Le Journal Hebdomadaire à faire publier ce jugement, mais aussi à nous payer 300.000 dirhams (environ 270.000 euros) de dommage et intérêts. Nous profitons de cette occasion pour répéter une fois de plus que la condamnation symbolique nous suffit et que nous ne ferons pas exécuter le jugement en ce qui concerne les dommages et
intérêts. Contrairement à la légende que la direction de cet hebdomadaire –relayée par certains journalistes et des ONG qui feraient mieux de bien vérifier leurs sources - se plaît à répandre, nous ne menaçons donc nullement sa survie.

2 Selon un article publié par le UNHCR, le 20 février 2006.
3 Communiqué du PAM, 16.02.06
4 Idem
5 M. Bouhbini était cité par le quotidien algérien El Watan, le 14 février 2006.
6 Communiqué du PAM, déjà cité.
7 El Watan, 23 février 2006.
8 Communiqué de l’UNHCR, 17.02.06
9 Cité dans le quotidien algérien « El Moudjahid », 25.02.0610 « Le Front Polisario, partenaire crédible de négociations ou séquelle de la guerre froide et obstacle à
une solution politique au Sahara occidental ? » Ce rapport est accessible sur notre site
(www.esisc.org) ou en en utilisant directement le lien suivant :
http://www.esisc.org/LE%20FRONT%20POLISARIO.pdf
11 Ce document de neuf pages est accessible à l’adresse suivante: http://www.arso.org/esiscpf.pdf
12 On peut accéder directement à ce document en cliquant sur le lien suivant :
http://www.umdraiga.com/acciones/cartaesisc.asp

esisc@esisc.org
www.esisc.org

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