Double hommage au Maroc et à son judaïsme
· Mahmoud Abbas: «Le Maroc seul pays arabo-musulman à avoir la légitimité, la crédibilité, et l’affection en Israël»
· Pour la première fois, le judaïsme marocain honoré en Palestine et en Israël
· Visite du conseiller de SM le Roi André Azoulay
En
premier lieu, la liberté fondatrice détermine l’enjeu du choix. La
croyance en une entité unique, infinie et transcendantale construit et
ordonne notre capacité à accéder à la beauté, à la vérité ou à la
morale.
La caresse d’une brise estivale, la tiédeur lénifiante et
humide qui exhale les senteurs du galant de nuit ou le vent d’est que
l’on connaît aussi sous le nom de chergui, avec ses rafales qui font
plier les peupliers, sont les augures d’une culture et d’une tradition
unique, celle du judaïsme marocain. Redressez-vous, raffermissez votre
stature et assurez vos pas, car un grand jour est arrivé.
«J’avais
un rêve», disait Martin Luther King, «I had a dream», avec cette voix
rauque qui bouleversait son auditoire. Aujourd’hui encore on ne peut
l’écouter sans ressentir ce frisson intense.
Les orateurs qui se
sont succédé lors de cet événement exceptionnel que constituait
l’hommage(1) de l’Etat d’Israël, représenté à son plus haut niveau, ont
partagé jusqu’aux larmes cette émotion. Le professeur Shimon Shetreet,
la voix hachée par les sanglots, a plusieurs fois interrompu son
discours pour retrouver la sérénité nécessaire à la diction.
Emotion,
pertinence, humour ont ponctué cette conférence qui a exprimé quelques
points forts, brillamment développés en 5 points majeurs par le
conseiller du Roi Mohammed VI, André Azoulay. Rendons-lui hommage car
ce combat, il l’a mené contre vents et marées souvent lorsque le ciel
s’était assombri et qu’il fut seul dans la nacelle à poursuivre avec
une détermination sans faille la lutte constante pour que le judaïsme
marocain soit reconnu non plus comme une composante pittoresque ou
folklorique mais comme une vraie force spirituelle et culturelle du
judaïsme contemporain.
La première idée forte est le libre arbitre
de cette communauté qui a choisi, partout où il a essaimé de protéger
sa mémoire et son histoire en Israël et de conserver à travers le monde
ses rites, ses traditions et ses valeurs. A la tentation de
l’assimilation brutale, ils ont préféré, dans leur plus grande
majorité, conserver la langue, la musique et les traditions culinaires
de leur culture. C’est en tant que femme et en tant qu’homme libre
qu’ils ont choisi de la protéger.
Dans la nuit silencieuse, nos
pas nous conduisent nulle part, arpentant les ruelles r’baties qui
renvoient l’écho de nos rires et de nos voix. Une phrase en français,
une autre en hébreu et une autre dans cette langue magique que
constitue pour nous le darija, notre deuxième peau, notre véritable
document identitaire. «Ki deir?», «Msha l’hal» ou «N’ta malek?», le son
de ces mots sont les prémices d’une vraie fête. Ce sont des expressions
qui renvoient à Rabat, Montréal ou Caracas, à la chaleur du foyer, aux
rues ensoleillées de l’enfance, vibrant à l’unisson au plus profond de
leur être. Cette dérive nocturne prend soudain tout son sens. Le
chanteur Shlomo Bar, lui aussi acteur indéfectible de ce combat, vient
de reconnaître la maison de son enfance que l’on recherche depuis déjà
plus d’une heure. Il fond en larmes et s’exclame: «Nous vivions comme
des princes!» princes non pas par la richesse ou par le pouvoir mais
par le raffinement et l’élaboration complexe de cette culture.
La
deuxième idée développée par André Azoulay est la force spirituelle de
ce judaïsme qui fut exprimé tout au long des siècles par les travaux
d’une richesse inestimable effectués par les rabbins marocains. La
contribution du judaïsme marocain dans ce domaine est très importante.
La
troisième idée est simple et belle. Il s’agit tout simplement du
bonheur d’une communauté qui a eu le privilège d’avoir pu cultiver sa
mémoire dans la sérénité et dans la joie. Dans les années sombres de la
Shoah, dont le 27 Janvier sera désormais chaque année le jour
commémoratif, le consensus national marocain, par son roi et par son
peuple, a su interposer une muraille protectrice entre les Juifs du
Maroc et la barbarie.
La quatrième consiste à ne pas limiter la
réalité de la communauté juive marocaine à sa situation géographique à
l’intérieur des frontières physiques du Maroc. En Israël, la communauté
des originaires du Maroc représente avec leur descendant presque
800.000 personnes. En France, au Canada, aux Etats-Unis ou en Amérique
du Sud, les communautés juives marocaines sont fidèles à leurs
traditions culturelles spirituelles et religieuses et sont pour la
plupart des entités particulièrement dynamiques dans tous les
domaines. Je rappelle à nos lecteurs que nous avions cité la présence
au festival du film de Jérusalem de Zeev Revah, Ronit el Kabets, Haim
Buzaglo et Moshe Ibghy…
Le cinquième point, non des moindres, et
par une conséquence logique des paramètres précédents, est la
prédisposition et l’aspiration idéologique de la communauté juive
marocaine à vivre en paix avec ses compatriotes musulmans et plus
largement avec le monde arabe. Cette coexistence pacifique existe par
amour et par respect mutuel. Elle implique l’ensemble de la communauté
dans cette responsabilité du projet de la paix. En d’autres mots, tout
le monde partage la responsabilité de la paix et le judaïsme marocain a
eu, a et aura vocation à être non pas spectateur mais acteur de cette
paix.
· Un message de dignité et de respect
«Dans
la ville d’Essaouira où je suis né et où mon épouse Katia est née, les
mots de paix de dignité et d’amour se conjuguaient en trois temps,
celui des trois religions du livre. Enfant, adolescent puis adulte,
«les alizés de l’Atlantique’’ ont maintenu ouvertes les portes du
respect de l’autre sans même que l’on puisse imaginer qu’il y eut un
autre moyen de fonctionner. C’était cela, vivre dans un bonheur qui
ignorait avec candeur, le racisme et la ségrégation.»
Cinquante ans
plus tard, ces juifs de paix qui résident encore pour certains au
Maroc, ou qui font rayonner ce message dans les communautés juives
marocaines de la diaspora et en Israël entendent prolonger la teneur de
ce message.
«Il faut construire ensemble, Israéliens et
Palestiniens, juifs et musulmans, la paix dans la dignité». L’ensemble
de ces idées ont été largement abordées dans son discours par le
président de l’Etat d’Israël Moshe Katsav.
André Azoulay a souligné
la politique mise en œuvre par le Roi Mohammed VI pour promouvoir et
élargir la capacité du Maroc à exprimer un message de paix, de
modernité et de convivialité.
L’ensemble de ces déclarations et
ces échanges intervient alors que l’on rend hommage à la mémoire
d’Itzhak Rabin disparu il y a dix ans exactement. Il y a un an
disparaissait aussi le président Arafat. «Ces deux hommes, dont on n’a
pas oublié la poignée de main historique, ont jeté les bases d’un
processus de paix dont la renaissance et la mise en œuvre doivent
désormais mobiliser plus que jamais chacun d’entre nous».
Mahmoud Abbas: «Le Maroc, qui célèbre cinquante années d’Indépendance, a un rôle pionnier dans la recherche d’une solution politique et le consensus construit au sein de la communauté des nations arabes autour de la recherche de la paix. Nous souhaitons qu’il garde l’initiative par sa position unique dans le monde arabo-musulman parce qu’il est le seul qui a aujourd’hui en Israël à la fois l’influence, la légitimité, la crédibilité et l’affection de près d’un million d’Israéliens qui gardent une relation de grande proximité à la fois culturelle et politique avec le Maroc. C’est un atout décisif pour l’accélération, l’approfondissement et la recherche d’une paix juste et véritable.»
André Azoulay: «L’idée centrale et l’objectif central et le résultat majeur de ce voyage et de tout ce qui l’a entouré est la reconnaissance du judaïsme marocain enfin reconnu dans sa vérité, dans son intégrité et en même temps dans sa réalité contemporaine. Au même moment, des deux côtés, et ce n’est pas quelque chose de rhétorique ou protocolaire ni conventionnel, c’est un événement profondément politique enraciné dans le culturel, le spirituel et dans le moral et c’est aussi le fruit d’un long combat. Ce judaïsme a été ostracisé, ignoré, marginalisé. Aujourd’hui il est reconnu et il a sa place dans l’universalité du judaïsme moderne. Ce combat qui a été le nôtre est en train d’être gagné et le Maroc a été à l’honneur en Palestine et en Israël.»
La
visite d’André Azoulay n’est pas une visite privée. Et après avoir
rencontré de nombreux responsables religieux et communautaires, le
conseiller du Roi s’est rendu à Gaza où le président Mahmoud Abbas lui
a réservé un accueil exceptionnel par sa chaleur et par les propos
qu’il a tenus. Autant il n’y a rien de surprenant à entendre le
président Katsav encenser une composante de l’identité nationale
israélienne autant les mots du président palestinien résonnent avec
force et courage: «Le Maroc dans toutes ses composantes juives et
musulmanes occupe une place centrale dans le cœur et la pensée de
chaque palestinien». André Azoulay a été reçu comme l’on reçoit un ami
de plus de trente ans avec chaleur et enthousiasme. Après un entretien
d’une grande densité, Mahmoud Abbas a donné un déjeuner en l’honneur de
l’ami et du représentant d’un roi et d’un peuple qui a associé le
judaïsme marocain «aux efforts continus du leader palestinien à la
recherche d’une paix juste et durable qui conjugue les concepts de
dignité, de justice et de souveraineté de la même façon et avec les
mêmes exigences pour les Palestiniens et les Israéliens.»
Claude SENOUF
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(1)
La conférence était intitulée «le judaïsme marocain et sa floraison à
travers le monde», donnée dans le cadre des fameux «forums d’étude sur
la Diaspora», institué par le président Katsav depuis son élection.