Sahara. L'autonomie en questions
Le
soutien international, la faiblesse du Polisario et la redistribution
des cartes au Sahara sont de bon augure pour le futur plan d'autonomie
marocain. à condition que nos sécuritaires cessent leurs maladresses.
Et que l'Algérie veuille bien jouer le jeu.
“Sidna arrive”, s'exclame un indépendantiste sahraoui à Laâyoune. Un
diplomate suivant l'affaire du Sahara de son bureau feutré de Rabat
commente : “Les Sahraouis ont un problème avec l'Etat marocain, non
avec le chef de l'Etat, Amir al mouminine”. Mohammed VI le sait.
C'est
d'ailleurs la troisième fois en cinq ans qu'il part faire un périple
pour rassurer. Cette fois, le timing est optimal. On sort à peine d'une
provocation polisarienne (incursion à Tifariti pour le 30ème
anniversaire de la RASD), on espère un dénouement de la crise
sécuritaire (libération probable de Tamek, Moutawakil...) et on attend
le rendez vous onusien où devrait être débattu le plan marocain
d'autonomie (encore sous scellés).
Au-delà de ces considérations
conjoncturelles, “le roi y va pour rappeler sa politique du fait
accompli : j'y suis, j'y reste”, explique un haut responsable marocain.
Il y étend l'effet INDH pour tenter d'être concret et “près des
attentes de la population”, selon la propagande officielle. “Plus
facile à dire qu'à faire, tant que les mandarins de la région ont
pignon sur rue, il ne peut faire que du saupoudrage”, commente un
dirigeant associatif sur place. L'essentiel, donc, est ailleurs.
Politiquement, qu'apporte le roi dans ses bagages aux Sahraouis ? “Ni
plus ni moins que la restructuration de l'Etat marocain pour leur
montrer à eux (et à l'étranger par ricochet) sa volonté d'aller
jusqu'au bout de la logique d'autonomie”, explique Mustapha Naïmi, qui
suit de près le dossier. Au menu, une autonomie aux contours encore à
définir et une réforme constitutionnelle qui entérine la
régionalisation et enterre l'Etat centralisateur. “Parce que le
problème des Sahraouis, au fond, est avec Rabat”, explique ce haut
responsable, prêt à faire son autocritique. Tous ses pairs ont-ils la
même prédisposition ? Pas sûr. La preuve, quelques militants des droits
de l'homme auraient été évacués de Laâyoune à la veille de la visite
royale. Cela vaut au Maroc, encore une fois, une belle publicité dans
la presse algérienne. Propagande, contre propagande ? Difficile de
démêler l'écheveau en temps de “guerre médiatique”.De quelle autonomie parlons-nous ?
Sur l'autonomie, des zones d'ombre persistent, aux yeux des architectes
du dossier : faut-il se limiter au “Sahara occidental” (Saguiat El
Hamra et Oued Eddahab) ou inclure Oued Noun et Sidi Ifni pour englober
“tout le Sahara hier colonisé par l'Espagne” et surtout toutes les
tribus ? Faut-il que le Maroc accorde aux Sahraouis une autonomie
maximale (ne laissant à Rabat que le timbre, le drapeau et l'armée) ou
minimale (subordonnant également la justice et les affaires étrangères)
? L'expression dorénavant consacrée “autonomie sous souveraineté
marocaine” peut vouloir dire tout cela à la fois. Mais si les partis
ont déjà signé un blanc seing au Palais, il revient aujourd'hui aux
Sahraouis (les premiers concernés) de se prononcer. Le Conseil
consultatif des affaires sahraouies, longtemps en veilleuse et
aujourd'hui réactivé, devrait s'en occuper. Or, le ministère de
l'Intérieur, cherchant à contourner les indépendantistes et autres
“trouble-fêtes”, a eu recours à un subterfuge. Il a adressé, à la
va-vite (à peine deux semaines avant la visite royale) un questionnaire
à toutes les fractions de tribus sahraouies pour qu'elles proposent
trois noms, en guise de représentants, la meilleure manière de
marginaliser les “indésirables”. Le comble est que, dans la
précipitation, “ils risquent de fausser le jeu dès le départ”, craint
un spécialiste du dossier.
Qu'à cela ne tienne, l'équipe réunie autour du roi (Taïeb Fassi Fihri,
Yassine Mansouri, Mostafa Sahel …) s'apprête à attaquer la dernière
ligne droite : peaufiner le plan d'autonomie, faire du lobbying à l'ONU
et préparer le terrain à des négociations politiques. Et déjà, dans les
coulisses, une esquisse de stratégie se dessine à propos de ce plan
d'autonomie : “le Maroc n'abattra pas toutes ses cartes à la fois.
Sinon, quelle marge nous restera-t-il pour négocier avec les Algériens
?”, confie un haut responsable.
L'Algérie négociera-t-elle ?
Tout le dilemme est là. Au moment où le ministre délégué aux Affaires
étrangères, Taïeb Fassi Fihri, déclare la volonté du Maroc de “tendre
la main” à Alger, nos voisins campent sur leur position de principe.
“Le Sahara occidental est la dernière opération de décolonisation de
son genre sur le continent”, entonne le président Abdelaziz Bouteflika,
la veille même de la visite royale aux “provinces du Sud”.
Ce raidissement, habituel par ailleurs, est aussi une contre-stratégie
algérienne. “Au sein de notre establishment, explique le journaliste et
écrivain, Akram Belkaïd, le calcul est simple : l'Algérie a 70
milliards de dollars de réserves et le roi du Maroc a des difficultés
avec ses opposants. Donc, c'est à lui de faire le premier pas”. La
seule fois où Bouteflika a été prêt à faire des concessions sur ce
dossier (à la veille du 11 septembre 2001), l'Algérie était affaiblie
politiquement et économiquement. Voilà qui explique son arrogance
actuelle. “A Alger, nuance ce diplomate, deux logiques s'entrecoupent :
celle des pragmatiques qui croient que l'autonomie est une fatalité et
qu'il faudrait tirer le maximum des Marocains et celle des
irrédentistes qui clament à tout bout de champ qu'Alger a le gaz, les
armes et le mérite d'avoir longtemps combattu l'islamisme. Alors, c'est
au Maroc de céder”.
Qui pense quoi à Alger ? Difficile de savoir. “D'un côté, les généraux
dont on connaissait traditionnellement les positions ont été poussés à
la porte. De l 'autre, la maladie de Bouteflika provoque un délitement
du centre de décision”, explique ce diplomate bien informé. Au fond,
nos voisins sont trop occupés par les histoires de succession pour
répondre sérieusement à l'appel insistant du Maroc ; en plus, ils sont
en train de s'armer jusqu'aux dents. “Justement, commente le socialiste
Mohamed Benyahya qui porte un regard objectif sur Alger, ils le font
pour masquer leur faiblesse interne. C'est une grandiloquence
trompe-l'œil”. Combien seraient-ils moins arrogants, “les ponts de
communication entre les deux capitales sont hélas coupés pour le
moment”, explique ce haut responsable. Ce qui n'arrange absolument
rien. La proposition du président du Conseil militaire mauritanien, Ely
Ould Mohamed Val, de jouer à l'intermédiaire, dénouera-t-elle les
choses ? L’accueil du neveu de Mouamar Kadhafi, en grande pompe à
Laâyoune, aidera-t-elle à desserrer l'étau maghrébin autour du Maroc ?
Affaire à suivre.
Qu’en pensent Madrid, Paris et Washington ?
Alors que le Maroc s'apprête à mettre sur la table son plan
d'autonomie, les principales puissances concernées, de près ou de loin,
par l'affaire du Sahara vivent un dilemme. “Toutes sont aujourd'hui
pour une solution politique, mais aucune n'est prête à s'investir pour
peser réellement dans la balance”, confie ce diplomate. Les Etats-Unis
préfèrent observer de loin. Le fait que Donald Rumsfeld traite le Maroc
de “partenaire stratégique” et l'Algérie de “partenaire prioritaire”,
explique la neutralité passive de l'administration Bush. Mais cela peut
changer dès la remise du plan d'autonomie marocain. En tout cas, les
Etats-Unis ne pourraient plus reprocher au Maroc de “ne rien proposer
de concret”. La pression pourrait, alors, changer de camp vers Alger.
Qu'importe, Washington continuera de surveiller le mouvement du
balancier de loin. “Nous avons d'autres priorités. En plus, depuis le
départ de James Baker, la Maison blanche se sent moins impliquée”,
confie un diplomate à Rabat.
À Madrid, le fait que le gouvernement Zapatero publie un communiqué
annonçant qu'il “n'allait pas commenter le plan d'autonomie marocain”
augure d'une neutralité positive. “Cela prouve, selon le journaliste
catalan, Paco Soto, que les socialistes au pouvoir sont au fond
favorables à la solution politique”. Mais il ne faut pas leur en
demander davantage. D'autant que 75% de l'opinion publique espagnole
demeure, selon un récent sondage, favorable à l'autodétermination.
Quant à Paris, dont le président Jacques Chirac est le seul à avoir
parlé ouvertement de “provinces du Sud marocain”, elle a tout de même
les mains liées. Un diplomate résume leur dilemme : “Nous nous sommes
trop engagés aux côtés du Maroc pour être crédibles auprès d'Alger sur
ce dossier”. Impossible, donc, pour Paris de jouer au go between.
Même le président russe Vladimir Poutine, qui vient de concéder à Alger
un accord d'armement exceptionnel, s'est déclaré pour “une solution
politique négociée”. Le Maroc a donc aujourd'hui un appui
international, sans précédent. Mais le comble est que Rabat ne peut
compter que sur ses propres canaux diplomatiques ou para- diplomatiques
pour venir à bout de ce conflit territorial. Parce que toutes les
puissances étrangères s'accordent à dire, dans les coulisses, que “si
Hassan II a bien géré l'affaire, son fils doit trouver le moyen de la
régler”. Terrorisme, immigration, libre-échange, il y a trop de
dossiers en suspens dans la région pour laisser un conflit, aussi
marginal soit-il, s'éterniser. C'est clair, la fameuse stratégie de
pourrissement au Sahara n'arrange plus tout le monde.
Et le Polisario, dans tout ça ?
La dernière tentative de réunion entre Madrid, Paris, Alger et Rabat,
pour désamorcer le conflit a échoué à cause de l'éviction du Polisario.
En attendant que les parties qui se sentent principalement concernées
veuillent bien l'impliquer, Mohamed Abdelaziz fait pression pour que
l'option du référendum ne tombe pas à l'eau. Il sait que la réunion de
fin avril risque d'être capitale. Entre- temps, Rabat a tranché : “Plus
question de référendum sur le territoire, mais sur la nature de
l'autonomie, pourquoi pas”, confie un proche du Palais. Rabat a plus
que jamais confiance en elle. Elle estime aujourd'hui que le Polisario
est plus affaibli que jamais même s'il a des relais locaux, à Laâyoune
et Smara ? Même s'il passe à l'offensive et annonce sa volonté de
construire 15.000 logements à Tifariti et Bir Lahlou, derrière le mur
de défense ? “S'il le fait, il tombe volontairement dans un guet-apens,
parce que de cette manière il quitte le territoire algérien et se met
dans une zone tampon, normalement sous législation marocaine”, commente
ce responsable marocain.
Ne crions pas victoire de sitôt. L'Algérie n'est pas prête de lâcher
ses protégés. Le seul indicateur sur la faiblesse interne du Polisario
est la montée au créneau du groupe dissident Khat Achahid.
“Aujourd'hui, commente Mustapha Naïmi, le Polisario est incapable de
tenir son assemblée, parce que Abdelaziz peut être mis en minorité”. Et
alors ? La démocratie interne n'a jamais été le point fort de la RASD.
Quant au Maroc, il apprend difficilement à la promouvoir pour mieux
séduire les Sahraouis. Mais la partie est loin d'être gagnée.
Maroc-Algérie. Le salut par la société civile
“Aujourd'hui,
la direction algérienne étant récalcitrante au réchauffement des
relations, il revient aux ONG de faire le pas”. Voilà en substance le
message distillé depuis peu par les autorités marocaines. Objectif :
fluidifier les relations entre les peuples, dissiper les a priori et
créer des intérêts communs pour préparer le terrain à des négociations
politiques. A Alger également, “la volonté de contourner une direction
politique intransigeante est de plus en plus à l'ordre du jour”, confie
la chercheuse Khadija Mohsen-Finan. Pour le moment, il s'agit à peine
de vœux exprimés ici et là. En attendant que cela soit transformé en
actes, beaucoup d'eau aura coulé sous les ponts… coupés entre les deux
pays.