L'affaire du Sahara devra connaître un tournant significatif. Plusieurs
signes laissent présager un changement conséquent dans ce dossier qui
oppose le Maroc au Front Polisario depuis 1975. Avant de présenter sa
proposition d'un plan de règlement à l'ONU, le 15 avril prochain, les
autorités marocaines ont entrepris plusieurs actions tandis que le
souverain accomplit un périple de six jours dans les "provinces du
sud". Lors de cette tournée, le souverain a inauguré de nombreux
projets socio-économiques concernant notamment l'eau potable, la pêche,
l'habitat et le réseau routier, pour un investissement d'environ deux
milliards de dirhams. Mais le but de cette visite demeure avant tout
politique. Il s'agirait d'abord de la redynamisation du Conseil
consultatif Sahraoui, un organe depuis longtemps mis en veilleuse et
rassemblant des notables et des chefs de tribu sahraouis. Même si ce
conseil existe depuis des lustres, il n'a jamais pu peser depuis sa
dislocation au lendemain de la "Marche Verte". Le souverain pourrait le
réactiver pour en faire le socle de son modèle de régionalisation
avancée. Son mode de représentation devrait, selon des sources proches
du dossier, être refondu. Par cette démarche, le Maroc souhaiterait
réintéresser les notables sahraouis exilés en Algérie. Ce Conseil
consultatif pour le Sahara devra, dans un premier temps, servir à
collecter l'avis des tribus sahraouies sur les modalités de
fonctionnement des institutions locales prévues par le plan royal. Le
Palais avait déjà demandé aux partis politiques de soumettre des
propositions sur l'autonomie. Pour sa part, le Polisario n'a pas manqué
de dénoncer cette troisième visite du roi Mohammed VI sur le territoire
la qualifiant "d'initiative belliqueuse qui menace sérieusement la
sécurité régionale". Les séparatistes rejettent toujours en bloc le
projet d'autonomie défendu par Rabat et s'en tiennent toujours à
réclamer le droit à l'autodétermination par voie référendaire, comme
l'a réaffirmé, le 21 mars, Ahmed Boukhari, le très influent
représentant du Polisario à l'ONU, dans une déclaration à la télévision
américaine Al Hurra. Une réaction qui intervient alors que le Maroc a
marqué quelques points sur la scène diplomatique. L'Espagne, la France,
et surtout les Etats-Unis, seraient prêts à soutenir la position
marocaine. Le secrétaire d'Etat américain, Condoleezza Rice, aurait
même rappelé à l'ordre John Bolton, son ambassadeur aux Nations Unies,
connu pour être attaché à l'organisation d'un référendum au Sahara,
comme cela fut préconisé par le Plan Baker dont il était l'un des
concepteurs. Avec l'intervention de Rice, il semblerait que les
Etats-Unis, alliés indéfectibles du régime marocain, considéré comme
modèle dans la région, aient infléchi leur doctrine en faveur d'une
solution négociée. Les grandes puissances occidentales devraient donc
appuyer la proposition marocaine, même si elle ne s'avère pas
révolutionnaire. Pas de concessions majeures Selon des
sources diplomatiques, ce serait davantage en raison de la « fragilité
des institutions marocaines encore incapables d'encaisser une refonte
en profondeur ». Ainsi, la copie marocaine ne devrait pas apporter de
concessions majeures mais devrait se borner à définir les contours
d'une « autonomie expérimentale », selon les termes d'un diplomate en
poste à Rabat. Ceci dit, le souverain devrait tout de même annoncer les
prémices d' une réforme constitutionnelle à même d'engager la mise sur
pied d'une régionalisation poussée au Sahara, mais aussi pour d'autres
provinces du Royaume. A Washington, on parle du bout des lèvres d'un
« United Kingdom of Morocco », une sorte de « royaume fédéral » hybride
qui s'inspirerait en même temps du modèle espagnol et de celui qui a
prévalu au Royaume-Uni pour le cas emblématique de l'Ecosse. Pour
soutenir la proposition marocaine, le souverain compte aussi sur
l'appui de plusieurs pays africains, et d'amorcer ainsi son retour en
souplesse dans le cénacle de l'Union Africaine dont il est cruellement
absent depuis des années. C'est dans ce contexte que Mohammed VI a reçu
en grande pompe à Laâyoune un émissaire de Kaddhafi. Cette visite, qui
intervient juste après le retrait de la reconnaissance de la
"République Sahraouie" par le Tchad, aurait été rendue possible grâce à
l'entregent du fils du chef de la révolution libyenne, Saïf El Islam,
réputé proche du Palais. Par ailleurs, des ambassadeurs itinérants
comme Hassan Abouyoub, que l'on disait pourtant hors-circuit, ont été
désignés pour défendre la vision marocaine auprès des pays encore
dubitatifs. Yassine Mansouri, le patron de la Direction Générale des
Etudes et de la Documentation (DGED), à qui l'on prête un rôle majeur
dans le dossier du Sahara, serait à l'origine de cette idée,
réminiscence lointaine de celle qu'affectionnait en son temps Hassan II
pour défendre la marocanité du Sahara Occidental. Le Président Chirac
ne serait pas étranger à cette décision. Mansouri aurait aussi
réussi à obtenir in extremis l'appui de Washington pour convaincre
Vladimir Poutine à plus de retenue en le faisant renoncer à contrer la
proposition marocaine. Le président algérien, Abdelaziz Bouteflika,
avait pourtant demandé à son homologue russe, lors de sa visite à
Alger, de peser au niveau du Conseil de sécurité de l'ONU pour oeuvrer
à l'application sans délai du référendum. Il avait mis sur la balance
un mirifique contrat d'armement. Sur le front intérieur, les
irréductibles opposants du plan marocain se mobilisent contre ce qu'ils
appellent « une autonomie octroyée et factice ». Des manifestations ont
été organisées lors du périple royal, notamment à Smara, mais elles
n'ont pas eu l'impact escompté face au rouleau compresseur marocain qui
a mobilisé ses sympathisants, dont nombreux ont été convoyés, selon des
observateurs étrangers, du nord du pays. Pour contrer leur
influence , le souverain devrait annoncer la libération de plusieurs
prisonniers politiques , dont Aminatou Haïdar, la pasionaria des
irrédentistes encore incarcérés à la Carcel Negra de Laâyoune depuis
les heurts répétés qu'a connus la région durant l'été 2005 . Une
concession qui pourrait être le signe avant-coureur d'un abandon de la
politique répressive du régime dans le territoire contesté en faveur
d'un renouement du dialogue jusqu'ici improbable. Des ambassadeurs itinérants ont été désignés pour défendre la vision marocaine auprès des pays encore dubitatifs.
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