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19 mars 2006

Drame et misère

 
 

 

 

 
 

 

 

 
 

 

On les croise partout : devant les hôtels, les grands boulevards, aux alentours des résidences universitaires et dans toutes les boîtes de nuit. A force de les voir, on finit par retenir leurs emplacements. Elles sont devenues tellement nombreuses qu’elles font partie de notre décor quotidien. Ce sont les prostituées.

La population algérienne vit, en effet, dans la misère économique dans ses manifestations les plus dégradantes. On l’a entraînée, en l’espace de quelques années, vers les abysses de la pauvreté et de l’insuffisance. Le taux de chômage avoisine les 20 % (année 2004). Près de 8 millions (année 2002), soit 7 778 000, sont des célibataires de plus de 20 ans et n’ont aucune perspective de pouvoir fonder un foyer, à cause notamment de la crise du logement et du problème de l’emploi. Environ 600 000 élèves sont exclus, chaque année, du système scolaire ou l’abandonnent par manque de moyens. Tout cela a fini par créer cet environnement propice à la prolifération des maux sociaux avec un accroissement et une brutalité inégalées, comme le divorce, les conflits familiaux, le suicide, la drogue, la mendicité, la prostitution. Nul ne peut nier que la misère économique est le terreau fertile sur lequel se développe la prostitution. Cette prostitution qui sévit massivement dans toutes nos villes et même nos petits villages - qui ont du mal à la dissimuler - est l’un des résultats de la catastrophe sociale et de la ruine économique qu’impliquent les politiques d’ajustement structurel, les privatisations, le libre-échange à sens unique ; bref, la mondialisation et ses effets sur l’accroissement des inégalités sociales. Désormais, aujourd’hui, ces malheureuses font partie de la mosaïque des gens de la rue. Elles y passent la plus grande partie de leur temps, elles disent qu’elles y travaillent. Les scènes de contact et les palabres entre la fille de joie et son client sont repérables à vue d’œil, même s’ils sont attablés dans un café. Il ne faut pas plus de quelques minutes pour que le marché soit conclu ou, dans le cas contraire, le présumé client s’en aille poursuivre sa chasse ailleurs. Ces femmes ont un quotidien qui n’a rien de commun avec le nôtre et leur vie a des lois et des codes différents de ceux que nous connaissons. Parmi les sept femmes qui ont bien voulu nous parler, nous vous livrons le témoignage de trois d’entre elles. Fifi (Fatima), à peine vingt ans, campe face à un hôtel. Cheveux taillés courts et teintés blonds, habillée d’un jean moulé à taille basse, tee-shirt blanc très court faisant apparaître son nombril et une bonne partie de son ventre. Hypermaquillée, elle scrute les automobilistes de ses grands yeux noirs. Fifi a bien voulu nous parler de son histoire, après s’être assurée de notre personne et de notre objectif. Son regard à la fois grave et morose donne l’impression que cette jeune femme voudrait vider tout ce qu’elle a sur le cœur. Elle nous confie que son moral est rarement bon. Elle est pessimiste, a du mal à se concentrer et, comme le veut son âge, veut tout et tout de suite. Malgré son énergie, elle a souvent envie de pleurer, est inquiète et nerveuse, se fait des reproches, se sent déprimée et désespérée en pensant à l’avenir. D’ailleurs, elle pense tout le temps au suicide et en a fait deux tentatives. Elle avoue avoir souvent des excès de colère, elle crie fort, frappe et casse. Quand elle parle de santé, elle évoque son mal de tête et les troubles du sommeil (endormissement difficile, réveil nocturne, fatigue accumulée) et ajoute qu’elle n’a jamais consulté de médecin. « Je n’ai pas choisi de vivre dans la rue ni de vendre ma chair. C’est le seul lieu où j’ai trouvé refuge lorsque j’ai été forcée de quitter la maison familiale. ça fait maintenant plus de 4 ans que j’exerce ce métier. » Elle ne dit rien sur les motivations de sa décision de quitter la maison familiale. Son corps frêle a appris à résister aux nuits glaciales de l’hiver. Son regard profond et les cernes qu’elle arrive à peine à camoufler par un épais maquillage sont les témoins de ces longues années d’errance et de souffrance. « Il est difficile pour moi de tolérer le regard des autres qui est plein de mépris. J’aurais souhaité une autre vie. » « Au quotidien, j’ai du mal à me regarder dans la glace, je me déteste, je ne sais pas de quoi sera fait demain. Ce que je fais ici, ça me ronge intérieurement, de la même manière qu’une maladie, ça me bouffe physiquement et ça m’enfonce dans la détresse. De temps en temps, il m’arrive de rigoler, d’avoir le sourire, mais on ne l’a pas vraiment au fond de soi. » Elle nous a affirmé être là (face à l’hôtel) depuis plus de deux heures et avoir déjà accompli trois passes et récolté 3400 DA. Le prix qu’elle prend pour chaque passe varie entre 500 DA et un plafond qui peut atteindre 2000, voire 3000 DA, selon les circonstances et les clients. La liaison sexuelle se déroule le plus souvent dans la voiture du client. Quant aux clients, elle affirme qu’ils sont de toutes les professions, de tous âges et de tous les horizons. Ils disent payer pour assouvir leurs fantasmes, sans égard ni scrupules. Ils ne sont pas nécessairement « étrangers » à la ville, nous confient la plupart des filles interviewées. On trouve, parmi eux, des maçons qui vivent dans leur chantier de travail, loin de leur famille, de plus en plus de Chinois, des quinquagénaires, des marchands ambulants et quelques amateurs de l’acte rapide. Le client tourne, regarde, choisit, discute les prix. Toujours à propos des clients, elle dit qu’« ils sont toujours avides de nouveauté. Lorsqu’une nouvelle personne arrive sur le trottoir, elle a un succès immédiat. Ils veulent plus de beauté, plus de jeunesse et ils veulent tous l’essayer ». En ce qui concerne la peur, elle dit : « Avec certains clients, on ne sait jamais ce qui peut nous arriver. C’est tous les jours. Quand on monte dans un véhicule, quand on se retrouve attachée pour satisfaire les fantasmes des hommes. Le type peut faire ce qu’il veut. » La peur est toujours omniprésente. D’abord, celle du client et de sa toujours possible violence, celle de la police et celle, surtout, d’être reconnue par des parents, voisins, amis. Peur de l’avenir enfin. Qui souhaite vieillir dans la prostitution ? Le second témoignage est celui de Zouzou (Zohra) rencontrée dans un cabaret du littoral de l’Ouest algérois. « J’avais 16 ans quand j’ai commencé à me prostituer. Après, c’est devenu une habitude. Je ne pourrais pas dire pourquoi. » A l’époque, Zouzou ne vivait plus chez ses parents. « J’étais partie de chez moi pour être libre. » Zouzou n’en dira pas plus. Elle ne veut pas parler de ce qu’elle a vécu dans sa famille. « Quand on est jeune et qu’on a envie d’acheter des robes, on voit qu’on va gagner de l’argent. On ne sait pas que c’est destructeur. On le saura après, mais on ne veut pas l’admettre. Et quand le pli est pris, on continue. Le problème, c’est l’argent. On se laisse manger par l’argent. On parle de la drogue. Mais l’argent, c’est de la drogue. » Zouzou lâche ses réflexions par bribes. « Vous en connaissez, vous, une p... qui ne prend pas d’alcool, pas de drogue ou de cachetons ? » « Contrairement à la clientèle de la prostitution de la rue, quand ils sont là (les clients), il faut les faire boire au maximum. Un verre de whisky à 600 DA, une bouteille à 5000 DA. Le verre de whisky, il faut le descendre et vite demander au client de nous en reverser un autre. Pour aider, on peut enlever le soutien-gorge et tolérer une caresse. Pendant tout ce temps, on boit aussi, évidemment, une fois que le type est bien gai, on peut demander autant de bouteilles qu’on veut. Quand on sature, on amène une autre fille pour nous aider à boire. Le patron donne un pourcentage sur chaque bouteille consommée par le client. » « Les clients, on leur dit les choses qu’ils ont envie d’entendre. Des mensonges. En réalité, ils sont moches. Ils nous racontent leur vie. Ils sont mariés. Et quand ils veulent aller plus loin, la passe est rarement inférieure à 3000 DA. L’acte se déroule dans l’une des 4 chambres situées au-dessus et qui nous servent également de lieu d’hébergement (pour les filles qui y travaillent). Les hommes, ce qu’ils ne peuvent faire avec leur femme, ils viennent nous le demander. Ils croient qu’ils peuvent nous faire ce qu’ils voient dans les films pornos. On gagne de l’argent, mais à quel prix ! On perd sa dignité, on n’a plus envie d’hommes. Parmi les clients, il y a les obsédés, mais pas tant que ça. On a de tout. Des cadres, des médecins, des militaires. Enormément de types qui aiment les gamines. Nous travaillons le soir et nous dormons toute la matinée. De ce fait, notre vie est forcément différente des autres personnes dites normales. » Enfin, le troisième témoignage, celui de Hassiba, l’une des victimes des réformes économiques, cette jeune mère de deux enfants, avec ses mèches blondes toujours dans les yeux, raconte sans haine comment elle a commencé à tapiner : « J’étais très heureuse avec mon mari et mes deux enfants. La fermeture de l’entreprise a été le début des problèmes. Le salaire, notre seule ressource, nous avait permis de vivre décemment. Puis ce fut la cassure. Aux problèmes financiers se sont ajoutés ceux liés à l’environnement, avec au bout le divorce. En charge de mes deux enfants, je devais subvenir à leurs besoins essentiels. Ce qui m’a contrainte à vendre mon corps malgré le dégoût que j’éprouve. Préalablement, j’avais cherché du travail, mais partout où je me présentais, la seule réponse était des propositions malhonnêtes. N’étaient mes deux filles, il y a longtemps que je me serais suicidée. Cela a été très dur, bien sûr, mais je n’avais pas le choix. Et même en prenant la pilule pour ne pas avoir d’enfant, je me suis retrouvée enceinte deux fois. J’ai pratiqué à chaque fois une IVG dans une clinique privée, la seconde fois, j’ai failli y passer. Cela a été très dur, bien sûr, mais je ne pouvais pas les garder. J’avais trop de problèmes. Etre une prostituée me répugne mais, Allah ghaleb, c’est mon destin. » C’est dans ce même décor que vivent d’autres prostituées, même si leur histoire diffère. Livrées à elles-mêmes, elle parviennent tant bien que mal à créer un environnement qui leur est familier. La rue ou les boîtes de nuit sont devenues leur refuge. Et si elles arrivent plus ou moins à supporter leur métier, cela ne les empêche pas de se sentir humiliées. Aujourd’hui, personne ne peut dire quel est le nombre des prostituées de la rue ou tout autre, même approximativement, encore moins celui des clients. Plutôt plurielle, non organisée, la prostitution en Algérie ne peut entrer dans un cadre clairement défini : de luxe, de rue, de boîte de nuit, de cité universitaire, de fin de journée, de fin de semaine, de fin de mois, de temps à autre, seulement la prostitution a pris des proportions alarmantes. Personne (à notre connaissance) n’a effectué une recherche sur l’aspect humain de ces personnes, sur leurs véritables besoins et sur les alternatives qui pourraient leur être proposées. La plupart ne voient en elles qu’un seul aspect : elles défigurent le visage des villes. Plus vieux métier du monde, métier tout court, mal nécessaire, esclavage... les affrontements idéologiques et moraux sont innombrables autour de la prostitution. Mais, de vrai débat public, il n’y en a point.

Okba Khiar

 

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H
L’autre face de Hassi Messaoud : Insécurité, prostitution et indigence<br /> <br /> http://www.algerie-dz.com/article1632.html<br /> <br /> Celui qui connaît le quartier d’El Hamiz d’Alger, visitant Hassi Messaoud, ne se croirait pas à plus de 900 kilomètres de la capitale. Tout y est. Constructions anarchiques, rues délabrées, boue et plein... plein de commerces. La seule différence est sûrement l’accès à cette ville, née du néant.<br /> dimanche 6 mars 2005.<br /> <br /> Pour déambuler dans les rues de Hassi Messaoud, il faut un « laissez-passer ». Un petit « Etat » dans l’Etat. A Ouargla, les chauffeurs de taxi refusent de prendre des visiteurs de Hassi s’ils n’ont pas de laissez-passer.<br /> <br /> Car, « c’est une perte de temps et donc d’argent » que de s’arrêter près d’une demi-heure devant le barrage sécuritaire installé à mi-chemin entre Ouargla et Hassi Messaoud. Militaires, gendarmes et policiers vérifient l’identité des visiteurs de cet « Etat ». Il faut donc que le transport public s’arrête, que les sans « laissez-passer » descendent pour « expliquer et justifier » les raisons de leur déplacement. Mais cette règle n’est pas appliquée à tout le monde.<br /> <br /> Etre femme, seule de surcroît, peut être un atout majeur pour entrer dans cette ville « sans raison définie ». Pour le visiteur, faire du « tourisme et du shopping » justifiait l’accès à Hassi Messaoud. Mais dès que les pieds foulent le sol de la ville, l’inconnue est « repérée ». C’est alors la « drague » d’une manière un peu « vulgaire ». « C’est normal, nous explique-t-on plus tard, dans cette ville, il y a les mentalités des 48 wilayas et ce mélange, quelque peu explosif, fait qu’il y a autant de comportements déconcertants. » L’autre explication réside sûrement dans le fait que Hassi est malheureusement connue par le fléau très répandu de la prostitution.<br /> <br /> Au niveau d’un grand et ancien hôtel de la région, une chambre est refusée à « la femme non accompagnée ». Il faut décliner son identité de journaliste pour avoir « droit » à un hébergement. « Il faut nous comprendre, c’est pour préserver la réputation de notre hôtel », expliquera plus tard le responsable de cette infrastructure. Des conseils sont même donnés à l’étrangère à la région : « Après 19 heures, il faut éviter de circuler seule et il faut également éviter d’aller dans certains quartiers. » Les vols et les agressions sont devenus « monnaie courante » à Hassi même. Cet avis, celui des anciens habitants de la ville, est loin d’être partagé par le premier responsable de la gendarmerie. Ce dernier affirme qu’« il n’y a pas d’agressions mais des vols depuis un moment ».<br /> <br /> La femme, le travail et l’autre « travail »<br /> Selon ce responsable, la présence de nombreuses personnes à la recherche d’un emploi sans succès finit par générer autant de vols. Pour le chef de brigade, « la première mission des gendarmes est la protection des 2 390 étrangers de 70 nationalités différentes présents à Hassi ». Parlant de la prostitution, le gendarme affirme que le phénomène n’est pas aussi répandu que le rapportent les médias : « Il est surtout causé par le comportement d’hommes sans scrupules qui promettent monts et merveilles à des femmes de différentes régions du pays mais, une fois à Hassi, ces dernières sont face à une autre réalité. » L’avis d’un ex-élu de la commune est tout autre sur cette question.<br /> <br /> Pour ce dernier, « il y a complicité des autorités. Sinon comment expliquer que ces dernières obtiennent l’autorisation d’accéder à Hassi et finissent par avoir un laissez-passer. Je n’irais pas jusqu’à dire que les éléments de sécurité qui assurent la vérification à l’entrée de la ville y participent mais je pense qu’il s’agit de tout un réseau qui permet à ces femmes d’avoir des contrats de travail comme femmes de ménage dans les entreprises pour exercer l’autre métier ». Des travailleurs d’entreprises soutiennent cette version également, affirmant que certaines, agents d’entretien, « assurent également un autre travail » le soir chez elles. « Après les événements d’El Haïcha, cela n’est plus pratiqué au grand jour et, puis, le portable a réglé le problème de beaucoup de personnes », soutient encore l’ex-élu. Une visite dans le quartier d’El Haïcha ou encore le « 136 » explique la prolifération de tous les fléaux. Des centaines de carcasses, collées l’une à l’autre, dégagent cette impression d’un grand bidonville en béton. Dans la journée, la majorité des portes sont « closes ». Leurs occupants ou plutôt leurs « occupantes » travaillent, explique notre guide. Un travail à mi-temps pour la majorité et qui ne rapporte qu’entre 7 000 et 12 000 DA par mois alors que la location d’une pièce dans ce quartier est d’au moins 9 000 DA mensuellement. Alors, les femmes « s’entassent » à 4 ou 5 dans la pièce pour partager les charges de la location.<br /> <br /> La prostitution, un début... sans fin ?<br /> Selon les anciens occupants de la ville, le phénomène de la prostitution a vu le jour au début des années 1990. A l’époque, El Haïcha n’était qu’un petit quartier abritant quelques familles des Chaamba. C’est avec le lancement du grand projet Gazoduc Maghreb-Europe (GME), réalisé par Bechtel, une société américaine, que de nombreuses personnes, notamment des femmes, ont été recrutées par cette dernière afin d’assurer la restauration et l’entretien. Une fois le projet terminé, la main-d’œuvre féminine qui était déjà mal vue « pour avoir travaillé pour des Américains » a préféré suivre Bechtel qui s’installait à Hassi, surtout que le terrorisme prenait de l’ampleur.<br /> <br /> Près de 500 femmes avaient, au début, des conditions très décentes : emploi et logement assurés par l’employeur. A la fin du contrat, les femmes qui ne pouvaient plus retourner dans leur ville d’origine ont dû trouver d’autres alternatives pour survivre. « C’est à partir de ce moment que le problème de la prostitution a commencé et, depuis, l’une appelle l’autre et voilà le résultat », a dit un des anciens habitants de Messaoud. De son côté, le secrétaire général de la commune a déclaré : « Il y a eu deux grandes opérations pour diminuer ce phénomène et les opérations continuent.<br /> <br /> Il y a réellement des familles venues de différentes régions du pays durant la période du terrorisme. Sans aucune source de gains, autre que cette pratique, ces familles ont accepté que leur progéniture se prostitue. Parce qu’il faut le dire, après enquête, il s’est avéré que certaines filles, que les habitants accusent de recourir à ces pratiques, vivaient avec leurs parents. C’est donc des familles entières qui sont concernées par ce phénomène. » Aujourd’hui, ces femmes sont connues dans toute la ville, leur adresse ou encore leur numéro de portable peut être communiqué à toute personne intéressée. Leur rémunération est, par contre, difficile à connaître car toute personne qui accepte d’en parler soutient n’être pas une habituée de ces « endroits ». Pourtant, ces lieux restent très fréquentés à partir d’une certaine heure. Les anciens habitants le savent et l’affirment. Tous regrettent les premières années de la création de Hassi Messaoud.<br /> <br /> Hassi, la nostalgie d’une contrée paisible<br /> « La ville était paisible et la sécurité totale », affirment-ils. A l’exemple des enfants de ce pétrolier, aujourd’hui à la retraite, qui se souviennent des randonnées tardives ou encore des soirées musicales organisées par Sonatrach. « Nous avions des aires de jeux, une salle de projection et plein d’autres avantages », affirment ces derniers qui pensent qu’aujourd’hui « le nombre important des travailleurs de Sonatrach fait que cette entreprise ne peut plus assurer le même confort qu’avant à ses employés ».<br /> <br /> L’entreprise continue de prendre en charge les frais des logements de fonction de ses employés, à assurer la distribution du pain ou encore le transport. Mais c’est loin d’être la prise en charge des premières années de la Sonatrach. A l’époque, tous les travailleurs, même en famille, vivaient dans des bases de vie. « La vie dans les bases était bien meilleure que dans ces logements de fonction. On avait toutes les commodités du Nord et même beaucoup plus », se souvient Sara, 23 ans, qui est née à Hassi. Cette dernière, ainsi que sa copine Hassina, 32 ans, ont eu l’occasion de vivre dans les bases. Ces dernières et jusqu’à aujourd’hui sont très bien tenues. La base de vie « Irara » ou encore « 24 Février » ont chacune une capacité d’accueil de plus de 2 000 personnes. D’une superficie de plus de 7 km², à l’intérieur de ces bases, il est difficile de croire qu’elles sont situées dans le Sud, au milieu du désert : verdure à perte de vue, piscine, bureau de poste, centre pour l’Internet, pépinière, élevages (bovins, ovins, chevaux, chameaux...), garderie, aires de jeux, centre omnisports, restaurant ou encore bars. Des studios et des villas sont construits pour accueillir les travailleurs.<br /> <br /> Quitter la base pour vivre dans un logement de fonction à Hassi Messaoud n’a pas été du goût de nombreuses familles. Ces dernières se retrouvent dans leur majorité cloîtrée dans leurs appartements et leur seul loisir reste les visites de courtoisie des anciennes connaissances. « On se rend visite entre nous, les anciennes familles. C’est tout. Plus de sortie le soir, plus de projection ni de sport. Avec l’extension de la ville et la venue de nombreux inconnus, l’insécurité règne même en plein jour », affirme Hassina. Ces anciennes familles pensent que le passage de Hassi de zone industrielle en commune est une erreur. Pour preuve, elles citent les nombreux bidonvilles qui « encerclent » la ville. Il y a officiellement, comme l’a déclaré le secrétaire général de la commune, M. El Mekki, moins de trois cents familles qui vivent dans des bidonvilles. Sur le terrain, l’étendue de ces lieux de fortune laisse à penser qu’elles sont beaucoup plus nombreuses. Dans au moins six sites, des bidonville sont construits, à savoir B’zine Darhaoui, Bouamama, Ouled Zit, Irara et Haouth El Hamra.<br /> <br /> La richesse, le bidonville, la décharge...<br /> Un projet d’éradication a été établi par la commune mais, pour des raisons que même le secrétaire général « ignore », le projet n’a pas abouti. « Nous avons choisi le site de ‘‘Toumiate’’ pour construire des logements à ces gens-là avec toutes les structures d’accompagnement [école, centre de santé, commerces...] mais ce projet n’a pas abouti pour je ne sais quelles raisons. Ces familles se sont alors multipliées. A notre niveau, nous comptabilisons quelque 350 familles qui, réellement, vivent dans ces bidonvilles ; le reste, ce sont des tricheurs qui ne s’installent qu’à la veille d’une annonce d’éradication de ces lieux », a affirmé M. El Mekki. A B’zine Dahraoui, la vue de ces amas de cartons, zinc et autres sachets noirs transformés en abri laisse le visiteur sans voix. « Il ne faut pas s’approcher, ces gens-là sont rancuniers et ont des chiens méchants », affirme le guide, un ancien habitant de Hassi. A croire que c’est une séquence d’un film d’horreur. Selon ce dernier, à Messaoud, plus de 800 familles sont derrière un tas d’ordures car le site de B’zine Darhaoui est une décharge publique. D’après ce qui se raconte, la nuit tombée, les habitants de ce bidonville négocient avec les conducteurs des bennes à poubelles les endroits de leur déchargement afin d’éviter que le tas d’ordures soit à proximité de leur abri. Le jour levé, il est possible de voir les enfants au milieu des ordures à la recherche d’objets récupérables, de restes de nourriture ou encore des vêtements.<br /> <br /> Avec ces portraits de pauvreté démesurée, il est étonnant que les mendiants soient rares dans les rues de Hassi Messaoud. La pauvreté doit être cachée dans la plus riche commune du pays pour être mieux oubliée. Que font les autorités locales pour l’éradiquer ? Quel rôle a Sonatrach, cette structure qui a mis au monde Hassi ? Les anciens habitants et les plus aisés d’entre eux reconnaissent qu’autant la ville de Hassi est riche, autant la pauvreté d’une frange de ses habitants est criante. Tous mettent cet état de fait sur le dos des élus. « Notre commune est très mal gérée », soutiennent-ils. Ils parlent alors de « détournement, de magouilles et de népotisme ». Dans la ville, chacun a une histoire : sur le marché communal qui aurait coûté plus de 7 milliards et qui n’a jamais ouvert ses portes ou encore sur un rond-point qui a vu le jour après plus de 12 milliards de dépenses... Certains s’avancent même sur un sujet assez délicat : « Des pots-de-vin pour l’acquisition de marchés. » Mais pour parler de ces sujets, l’anonymat est de rigueur. Quel degré de vérité y a-t-il dans ces rumeurs colportées par la population de Hassi ? Seule une enquête minutieuse diligentée par les plus hautes autorités de l’Etat peut répondre à cette question.Jusque-là, la population de Hassi continuera de vivre au rythme des rumeurs et des maux qui délabrent la vie sociale.<br /> <br /> « Les deux mains gauches de l’Algérie »<br /> « La prostitution, la drogue, le vol, les agressions ou encore les détournements font partie aujourd’hui de notre quotidien », a affirmé un jeune ingénieur de cette ville. Ce dernier, qui a trouvé un emploi « grâce à Orascom », comme il a tenu à le souligner, estime qu’à Hassi « il y a trop de mentalités et de personnes qui s’installent, créant toutes sortes de débauches ». Il n’est pas le seul à le penser d’ailleurs. Pour les nouveaux citadins, il n’est plus question de s’installer avec la famille, comme le dira Mustapha, un chauffeur de taxi, venu de Corso (Boumerdès) en 1989. Une annonce de Sonatrach à l’époque cherchant des chauffeurs l’a décidé à quitter son employeur privé qui le faisait travailler au noir. Quinze ans après, Mustapha ne compte toujours pas ramener sa famille à Hassi. « Ici, il y a un mélange malsain de gens. Beaucoup de travailleurs n’ont pas pu vivre en famille et ont dû les renvoyer dans leur wilaya d’origine ». Amar, employé dans un hôtel, partage cet avis. Depuis 3 ans qu’il est à Hassi, Amar, d’origine kabyle, soutient que l’idée de s’installer avec sa famille n’a pas effleuré son esprit. « Pour moi, je suis comme emprisonné, je ne comprends pas ce mélange de mentalités et je n’arrive pas à m’adapter. Les gens ici ne cherchent qu’à gagner de l’argent et les plaisirs de la vie », affirme Amar. Le mot de la fin revient peut-être à cet employé dans une structure de la protection de l’environnement. L’avis de ce dernier est sans appel : « Hassi Messaoud est le mal de l’Algérie. Son pétrole a donné deux mains gauches au pays. »
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