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18 février 2006

Le culte des grottes

Aujourd’hui, avec le recul, parler de la grotte, ce serait traiter d’un thème mystérieux ou d’un retour aux origines de l’humanité primitive, celle des troglodytes ou de tous ceux qui ont mené une vie dure, totalement coupés de la société. Il y eut dans tous les temps et partout dans le monde des gens qui ont choisi ou qui ont été obligés de vivre seuls. Tel a été le destin des bandits d’honneur, des bandits de grands chemins, marginaux et parias mis à l’index pour diverses raisons.
La grotte évoque aussi la vie d’ermite, ou de réfugié obligé de se cacher pour un temps, à cause d’une menace de mort qui pèse en permanence. Chargée de souvenirs et pouvant être porteuse de gravures, la grotte est un lieu idéal pour qui veut écrire, s’adonner à la réflexion ou à la méditation. Mais toutes les grottes ne sont pas des lieux de culte.
Les grottes dans
la mémoire populaire
On raconte que dans l’ancien temps, grand nombre de familles démunies vivaient dans les cavernes. Même de nos jours, il existe des populations, situées en zones montagneuses, qui continuent de vivre dans ces abris de fortune que la nature semble avoir taillés pour elles.
Mais en dehors de ces cas de figures troglodytiques dont le nombre va en se réduisant, il y a ceux qui, par superstition ou croyances héritées des plus lointains ancêtres, vont dans les grottes pour prier, se recueillir, vivre pleinement selon leur moi intérieur, s’adonner à la méditation transcendantale, trouver de l’inspiration. C’est en quelque sorte une forme de thérapie nécessaire pour retrouver ses repères, se recréer dans la solitude et le silence.
Le vide absolu, qui fait peur à certains, redonne confiance à d’autres en les revigorant et leur donnant cette possibilité de reconsidérer le passé par les souvenirs parfois durs à revivre ainsi que l’impression d’avoir communiqué avec les êtres invisibles. C’est là une réalité vécue par nombre d’adeptes de tous âges ou sexes entretenant des liens étroits avec l’au-delà.
On suppose que l’homme de la grotte du Macchabée, se trouvant sur les hauteurs du Djurdjura, a dû, s’il n’était pas un bandit de grands chemins recherché, trouver refuge ou venir là pour se retrouver devant l’invisible, avant d’être  pétrifié par les neiges. Que d’histoires n’a-t-on pas racontées sur lui sans que personne n’ait pu donner à son sujet une quelconque information convaincante sur ses origines et son devenir. En voulant garder le suspense, on a peut-être cherché à en faire une légende.
Le Maroc, dont nous sommes des voisins directs même sur le plan des traditions, possède des grottes aussi renommées que les nôtres. Les unes sont habitées ou aménagées en magasins, sinon en refuge par des contrebandiers de tous les temps ; d’autres sont des lieux de culte sacralisés. Ce fut le cas de la grotte d’El-Makta, de Bab Gissa, de Kef El-Hammam, non loin de Fez.
Des anthropologues ont cherché dans les mythes quelque raison relevant de la superstition, des croyances religieuses ou des traditions ancestrales pour expliquer ce type de comportement méditatif ou maladif comparable au spiritisme dont les explications psychanalytiques restent douteuses.
En dehors du scientifique limité à ses champs d’investigation spécifiques, on peut toujours dire que le culte des grottes pourrait avoir pour origine l’influence des genres littéraires de type populaire comme les contes, les légendes, les rites anciens accompagnés de chants et dont l’accomplissement peut marquer à vie. Les musulmans, dans leur majorité, connaissent la caverne d’Ali Baba. Et qu’on le veuille ou non, en Afrique du Nord, les grottes, depuis les temps les plus reculés, ont été des lieux choisis pour célébrer des cultes.

Cérémonies rituelles dans des grottes, au Maroc ou ailleurs On y a pratiqué, jadis, les rites agraires pour aider à faire renaître une nature qui a du mal à retrouver les couleurs de la saison à cause d’une sécheresse persistante. Cela rappelle en islam la sallat el istisqa où des bœufs sont offerts en sacrifice pour demander à Dieu Tout-Puissant le retour des précipitations.
Dans les grottes, on offre des sacrifices en prononçant des prières, et cela est accompagné de fêtes à des périodes déterminées de l’année comme celle de la sécheresse qui fait craindre le pire pour les récoltes. Dans d’autres régions, on a recours aux grottes pour espérer une meilleure action fécondante des éléments de la nature. A une date donnée de l’année, on y entre pour s’adonner à des rites thérapeutiques. Cela se passe dans les grottes d’Imeghan ou d’Imi N’taquandout où les visiteurs passent la nuit pour s’imprégner de toutes les émotions qui pourraient en advenir ou des mystères du vide qui font le vide en chacun. Les malades y viennent pour recouvrer la santé, moyennant des oracles rendus ou des effluves salutaires.
Cela se passait jusqu’au début du XXe siècle qui a vu des gens ignorants croyant à tous les miracles et que la misère a acculés à ce genre de pratiques qui ont toujours échappé à l’explication rationnelle. On va aussi dans les grottes pour des rites de purification consistant à déposer à l’entrée un objet porteur de toutes les influences néfastes et de maléfices persistants. Il s’agit donc, en y allant, d’écarter tous les êtres malfaisants comme les djenouns, le diable, omniprésents. On se rend en procession à la grotte où l’objet porteur de génies malfaisants est abandonné pour débarrasser les humains de tous les mauvais esprits. On croit que les grottes ont pour fonction magique de les retenir.
Au Maroc où le maraboutisme est bien ancré au sein des populations, à chaque grotte on a donné un nom de saint, comme Abdel kader El-Djilani, Moulay Abdel Selam Ben Mechich, Moulay Bou Selham. Mais Dieu Tout-Puissant n’a pas besoin d’intermédiaire entre Lui et les croyants. Cela n’a pas empêché un grand nombre de pratiquants d’adhérer aux tariqa, ainsi qu’au pouvoir magique des marabouts. Ils les ont vénérés au point de se laisser abuser. La preuve est qu’on les a toujours considérés comme des intercesseurs auprès de Dieu. Ce qui explique pourquoi leur sont faites  toutes sortes d’offrandes ruineuses.
A la grotte d’Azaglou au Maroc, l’attachement au saint patron fut tel qu’on venait à des moments déterminés de l’année pour sacrifier des bœufs sur le  tombeau et en l’honneur du disparu, venu s’établir dans la caverne.
Ces cultes idolâtres sont interdits par l’islam ainsi que par toutes les religions monothéistes ; ne peut-on donc y voir des vestiges de l’ère du paganisme?
La caverne ou la grotte
en littérature
Revenons chez nous pour parler de notre littérature avec laquelle nous sommes plus familiarisés. La première qui nous vient à l’esprit est une légende populaire, effacée des mémoires et qui s’intitule «Les sept dormants de la grotte d’Azzefoun».
Nous ne pouvons pas ne pas penser à Mohamed Dib qui a parlé de la caverne, lorsqu’il a abordé Le Nouveau roman, par Qui se souvient de la mer où il parle de deux communautés, celle d’en-bas, la colonisée, et celle d’en-haut, la dominante c’est-à-dire celle des pieds-noirs. Le roman plein d’images métaphoriques, de non-dits, d’ironie, a dû être élaboré à la veille de l’indépendance. L’auteur en fait le symbole d’un milieu fermé, comme les profondeurs marines. Ainsi, il parle de la grotte sous-marine pour faire allusion au ventre de la mère qui porte l’enfant qui va naître.
Chez Kateb Yacine, la grotte connote le refuge et un lieu de mystère, celui dans lequel s’engouffrent Si Mokhtar qui enlève la Française et le père de Rachid. Le lendemain, on y retrouve le père de Rachid sans vie. Si l’auteur a choisi la grotte, c’est à dessein. C’est un lieu fermé où tous les coups sont permis et qui ne fait courir aucun risque d’être soupçonné. Chez l’auteur de Nedjma, la grotte a été une représentation de l’intériorité explosive qui renvoie à l’image de l’enfermement, au sens mélioratif, suivie d’une libération de l’énergie accumulée.
Cette grotte, qui peut s’appeler religion, éthique familiale, sexualité, recours à l’autre avec tous les développements que cela suggère du point de vue psychanalytique et mythographique, dit Jean Dejeux, spécialiste de la littérature maghrébine. Le même critique littéraire voit dans Nedjma deux cycles : celui «des ancêtres qui redoublent de férocité» comme dans la pièce théâtrale et celui du personnage de Nedjma d’où émerge le monde souterrain fait d’eaux profondes, de bains maudits, de jardins aux fruits symboliques, de fécondité, de stérilité, de nature, de plantes à odeur aphrodisiaque, d’ animaux répugnants comme la pieuvre, le lézard, la grenouille.
Le roman a été publié en 1956, et Nedjma apparaît à d’autres moments comme le symbole de la patrie. Et l’exilé, peut-être lui-même ou tout autre Algérien, ne redeviendra lui-même qu’en retournant au fond de la caverne matrice. Kateb donne des images très significatives pour les psychanalystes. Parmi ces images, les  plus fortement symboliques,celles  de la mère et de la renaissance à la vie authentique, il y a celle de la grotte à interpréter comme la nuit maternelle de la vie prénatale ou du retour à la terre-mère. Kateb disait lui-même en 1963 : «Il y a des conditions objectives qui font que je suis un écrivain errant ; ça m’a ouvert des horizons que je ne suis pas prêt d’abandonner.» Ces paroles sont interprétées comme une forme d’alternance entre le désir du retour à la grotte et celui, irrésistible, d’ouverture sur le monde.
Cette caverne-matrice a été relevée dans l’œuvre d’Assia Djebbar parlant de coupure avec le monde des ancêtres : «Nous demeurons coupés de nos ancêtres». Et pour peu qu’elle veuille se tourner vers l’antre d’origine, cela signifierait quête de l’identité ou retour à la caverne -matrice où elle aperçoit des formes et des signes ainsi que toute une gesticulation.
Rachid Zahir parle de caverne  pour dire que le roman est construit selon une forme circulaire chez Boudjedra, dans un de ses romans, avec cette intention de susciter des interrogations sur la valeur sémantique de la grotte par rapport à la réalité.

                                                  

 

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