La revanche des Israéliens du Maroc
Les Israéliens
d'origine marocaine représentent pres que 10% de la population
d'Israël. L'un d'entre eux a été élu à la tête du parti travailliste,
ce qui représente « une vraie révolution » pour cette communauté.
« Il est tout simplement impossible pour nombre d'Israéliens d'accepter que le petit Marocain de Boujad prenne le pouvoir ! », assure Daniel Ben Simon, lui-même d'origine marocaine et journaliste au quotidien indépendant israélien « Haaretz ». Le « petit Marocain de Boujad » dont il est question est Amir Peretz, élu il y a environ un mois à la tête du parti travailliste israélien. Celui-ci est susceptible de remporter les élections anticipées en Israël et de succéder ainsi à Ariel Sharon, au poste de Premier ministre. Pour Daniel Ben Simon, le fait qu'un Marocain arrive à la direction du parti travailliste en Israël est « un événement historique », « une vraie révolution » : cela marque la revanche des Israéliens séfarades et surtout de ceux d'origine marocaine sur les ashkénazes
« Les séfarades (NDLR : les Juifs du bassin
méditerranéen) représentent plus de 50% de la population mais sont
sous-représentés au sein de l'élite », explique Daniel Ben Simon.
« C'est particulièrement vrai pour les Israéliens d'origine marocaine,
pourtant la deuxième communauté juive en Israël après les Russes »,
ajoute-t-il. Ils sont au total 494.000 dont 337.000 nés en Israël. Les
Séfarades souffrent de discrimination, assure Daniel Ben Simon.
L'exemple de la presse est révélateur : à peine 5 à 10% des
journalistes sont des Séfarades. Daniel Ben Simon est l'un d'eux à
« Haaretz », l'un des quotidiens les plus respectés en Israël. « Tant
que les Marocains restent chauffeurs de taxis ou ouvriers, ils ne
dérangent personne. Mais les accepter au sein de l'élite, c'est mission
impossible, tout simplement pour des raisons racistes ! »,
déplore-t-il. D'ailleurs, l'Ashkénaze Shimon Pérès a eu vite fait de
quitter le parti travailliste après la victoire de Peretz, lors des
élections internes. « Shimon Pérès, le prix Nobel de la Paix, le grand
ami-dragueur des peuples de la Méditerranée, ne peut tolérer qu'un
parti soit dirigé par un Marocain », assure le journaliste. Une Paix secondaire Caroline Taïx
Amir
Peretz est plus que jamais le symbole des Israéliens d'origine
marocaine. Avec sa famille, il a quitté Boujad, sa ville natale, près
de Khouribga, à l'âge de 6 ans. C'était au début des années 50, juste
après que le chef du gouvernement israélien David Ben Gourion ait fait
adopter « la loi du retour », qui accorde à tout Juif le droit
d'immigrer en Israël. En quelques années, plus de 600.000 Juifs, pour
la plupart venant du monde arabe, sont ainsi arrivés dans le pays.
Comme tant d'autres, la famille Peretz a été envoyée dans « une ville
de développement », au sud. Il s'agit de Sderot qui s'est depuis
agrandie tout en restant pauvre. Une grande partie de sa population est
d'origine marocaine. Amir Peretz a été maire de cette ville de 1983 à
1988, année de son entrée au Parlement. En tant que dirigeant
syndicaliste, il n'a pas hésité à paralyser Israël en 2004 par des
grèves générales, avec l'appui des grands syndicats, pour dénoncer la
politique économique ultra-libérale du gouvernement Sharon. Depuis
toujours, ses thèmes de campagne sont la lutte contre la pauvreté et la
paix avec les Palestiniens. Il a d'ailleurs été militant de « la Paix
maintenant », le principal mouvement d'opposition à la colonisation
israélienne des territoires palestiniens. Il a rejoint le parti
travailliste en mai 2004. La communauté séfarade, et en premier lieu
les Marocains, est pourtant l'assise du parti adverse, le Likoud, le
parti qu'Ariel Sharon vient de quitter.
« Avec l'arrivée d'Amir
Peretz à la tête des Travaillistes, Israël se prépare à une
restructuration de son champ politique », explique Daniel Ben Simon.
Jusqu'à présent, si le Likoud était le parti des Séfarades, le parti
travailliste était celui des Ashkénazes. Les premiers haïssaient les
Travaillistes, accusés d'être la cause de leurs problèmes
d'intégration. Ce parti était en effet au pouvoir quand la majorité des
Séfarades sont arrivés en Israël. Il était de plus perçu comme un parti
de riches. En outre, son implication pour la paix l'a coupé de nombre
de Séfarades. Mais depuis qu'Amir Peretz en a pris la tête, certains
d'entre eux ont abandonné le Likoud. De même, des Ashkénazes devraient
abandonner les Travaillistes. On a ainsi vu Shimon Pérès, l'un des
fondateurs de ce parti, s'allier avec Sharon pour former un nouveau
parti. « La grande question aujourd'hui consiste à savoir si les
Marocains voteront pour le Marocain Amir Peretz », explique Daniel Ben
Simon, assurant que « si c'est le cas, il gagnera et deviendra Premier
ministre ». Le journaliste a d'ores et déjà donné son avis à différents
médias israéliens : « Je vous annonce qu'un Marocain va être à la tête
de cet Etat dans quelques mois », leur a-t-il déclaré. « Peretz va être
élu pour des raisons sociales », affirme-t-il. « Israël ressemble
aujourd'hui à une république sud-américaine, avec des riches très
riches et des pauvres très pauvres. Et ce sont ces derniers, les
Séfarades, les Russes, les Ethiopiens qui vont voter Peretz pour
changer le système », estime Daniel Ben Simon.
Quant à la paix
avec les Palestiniens, elle semble presque secondaire. Certains
reprochent déjà au nouveau leader travailliste de ne plus parler de
négociations avec les Palestiniens, peut-être dans l'objectif de se
mettre les Séfarades dans la poche. En outre, d'après un sondage paru
dans « Haaretz » le 6 décembre, la sécurité n'est plus que la troisième
préoccupation des Israéliens, derrière le fossé social et l'éducation.
Selon Daniel Ben Simon, « Une question se pose en Israël aujourd'hui :
est-ce qu'un Marocain peut diriger le pays ? Les Ashkénazes pensent que
les Marocains n'en ont pas la capacité ». Ici, on peut se poser une
tout autre question : si Amir Peretz devient Premier ministre, quelles
répercussions cela aura-t-il sur les relations entre Israël et le
Maroc ? Cela annoncera-t-il un rapprochement entre les deux pays ?