sultan,
“la France nous fait gagner vingt ans de lutte pour l'indépendance” ?
Le soutien indéfectible du lobby franco-marocain, à la tête duquel se
trouvent, le chef du gouvernement Pierre Mendès France et le très
respectable François Mauriac ? Indiscutablement, puisque la thèse du
“Maroc français”, relayée par les résidents généraux, Juin et
Guillaume, et quelques irascibles colons, a eu moins d'impact à Paris.
Qui d'autre a pesé dans la balance ? Les négociateurs marocains, Ahmed
Balafrej, Abderrahim Bouabid, qui ont su trouver à Aix-Les-Bains,
l'issue du fameux “Conseil du trône” pour assurer la transition, en
attendant le roi-symbole? Certainement. Ils ont surtout réussi à être
plus représentatifs et entendus que les relais locaux du colonialisme
(leGlaoui et compagnie). Et les résistants dans tout cela ? Lors de ces
fameuses négociations annonçant l'issue de la crise, ils ont été tout
simplement marginalisés. Et aujourd'hui, dans son discours à l'occasion
du cinquantenaire de l'Indépendance, le roi Mohammed VI leur a accordé
un (très) bref hommage, pour avoir “tant donné pour défendre la patrie
et le symbole de sa souveraineté”. Mais réalisons-nous vraiment
l'étendue de leur apport ?
Fin de la politique, début de la résistance armée
S'il y a une date charnière, annonçant le début réel de la lutte armée
pour l'Indépendance, c'est bien le 5 décembre 1952. Elle correspond à
l'assassinat du leader tunisien, Ferhat Hachad. Tous les nationalistes
et autres anti-colonialistes maghrébins retiennent de lui, à l'époque,
cet appel-testament : “Tant que vous n'avez pas pris les armes pour
venger vos martyrs au nom de Dieu et de la nation, vous êtes loin du
compte”. à Casablanca, communistes et istiqlaliens se mettent d'accord,
le lendemain de sa mort, pour appeler à une grève générale. Les six
mille émeutiers, venant en grande partie des Carrières centrales,
laissent sur l'asphalte trente-quatre morts et provoquent une réaction
radicale du résident général, Alphonse Guillaume et du chef de la
région de Casablanca, Philippe Boniface. Résultat : l'Istiqlal et le
Parti communiste sont interdits, leurs journaux, jusque-là largement
censurés, sont suspendus, la plupart de leurs leaders sont emprisonnés
ou exilés, et seuls les résistants restent présents sur le terrain.
Les Zerktouni et consorts se préparent depuis des mois déjà à la lutte
armée. Les bombes posées dans les locaux de journaux pro-français, Al
Widad et Al Azima, sont annonciatrices d'une lutte frontale. De leur
côté, les colons demandent, dans une lettre adressée le 17 décembre
1952 à l'Elysée, “l'extermination du mouvement national, la déportation
du sultan et l'élargissement des pouvoirs du résident général”.
Certaines cellules secrètes de la lutte armée, constituées ça et là,
freinent leurs ardeurs en attendant le feu vert de la direction ad hoc
du parti de l'Istiqlal à Tanger. Ahmed Balafrej déclare alors dans les
colonnes du Monde : “notre parti refuse de s'identifier avec la
violence”. Cette opinion laisse indifférents les istiqlaliens qui
décident de passer à l'acte. “Ils nous demandaient d'être patients. Ils
prétendaient avoir des garanties de l'étranger que le roi n'allait pas
être touché. Je n'en croyais rien. D'où mon engagement aux côtés de
tous mes compagnons d'armes d’élargir le réseau de la lutte armée”,
raconte Mohamed Bensaïd Aït Idder.
Durant l'année 1953, le ton des autorités françaises, soutenues par
Glaoui et un lobby dit “libéral”, devient plus menaçant. Les effets
dévastateurs du capitalisme colonial se font ressentir. Par conséquent,
“le sentiment d'injustice se cristallise à Casablanca, où le mouvement
ouvrier, la conscience de classe et l'exode rural, celui du Sud
essentiellement, favorisent la résistance”, estime l'historien Mohamed
Wahid. Les signes de protestation se multiplient : appels au boycott du
tabac, bombes dans des stations d’essence, tentatives de déraillement
du train Casa- Marrakech, un vol d'armes à l'aéroport Nouaceur. Bref,
l'Organisation secrète (lire encadré), désireuse d'arracher
l'Indépendance par l'action au lieu des discours fait déjà parler
d'elle avant même que le roi Mohammed V ait été exilé.
Le terrain est donc préparé pour une réaction plus virulente au
lendemain du 20 août 1953. Guillaume vient d'effectuer ce que son
prédécesseur et néanmoins ami, Juin, n'a pas osé, le 26 janvier 1951 :
accéder à la demande des colons et collabos de destituer le sultan. Son
gage vis-à-vis du peuple, l'aval des notables et ce prêche du alem
Abdelhay Kettani : “Le trône doit être remis à qui le mérite”. La
réaction des résistants ne se fait pas attendre. Elle est d'abord
spontanée à Oujda et Marrakech sous forme de soulèvements populaires,
lourdement réprimés. S'ensuivent une série d'attentats, au Méchouar à
Rabat, à la mosquée Koutoubia à Marrakech, au sanctuaire de Zerhoun,
prenant pour cible le sultan Mohamed Ben Arafa, avant même son
intronisation, et son mentor, Thami Glaoui (lire encadré). “Elles ont
pour effet de montrer que l'un et l'autre sont loin d'être intouchables
et encore moins crédibles aux yeux des Marocains”, explique Bensaïd Aït
Idder.
Intifada populaire et répression coloniale
De septembre 1953 à juin 1954, date à laquelle la France décide de
remplacer Guillaume par un civil, Francis Lacoste, plus de cent
cellules sont engagées, à un rythme effréné, dans la lutte armée. Les
actions vont dans trois sens. D'abord, une volonté de marquer
l'imaginaire des colons. Ainsi, les dirigeants de l'Organisation
secrète (OS), Mohamed Mansour et Mohamed Zerktouni, ont prévu de
rétorquer à la déposition de Mohammed V le jour de Aïd Al Adha par une
grosse déflagration le jour de Noël, et donc de poser trois bombes là
où il y a foule (aux Colis postaux, à la Poste centrale et au Marché
central). Finalement, seule celle du Marché central explose. Mais elle
a suffi à marquer les esprits. Elle a surtout provoqué une fatwa des
ouléma et un dahir rendant les poseurs de bombes passibles de la peine
de mort. La répression et le contrôle des éventuels trouble-fêtes se
sont alors accentués, via les moqaddems et autres bergaga (ils existent
déjà). D'où la deuxième piste empruntée par les résistants : la
liquidation des agents collabos. Ainsi, en six mois, trois moqaddems et
deux imams (sans parler d'autres cas isolés de commerçants suspects)
ont été abattus. à l'époque, à Casablanca, l'image du fidai' solitaire,
qui sort son pistolet ou dissimule une grenade, court les rues. Mais
les résistants vont parfois au-delà. Ils cherchent aussi à fédérer les
gens, via des tracts rappelant le devoir de lutte pour l'Indépendance,
et à établir des contacts personnalisés permettant d'élargir leur
réseau, dans les zones rurales et dans bien d'autres villes. Zerktouni
tient particulièrement à sortir Fès de son image de ville de bourgeois
politiciens. Moulay Abdeslam Jebli s'est employé à former des relais à
Marrakech.
L'arrivée d'un résident général plus libéral a été à double tranchant.
Elle a permis de relâcher les prisonniers politiques et de desserrer
l'étau autour des organisations secrètes. Résultat, ces dernières sont
tour à tour tombées dans le piège du laisser-aller. La fameuse ferme
sise à Oued Ykem, où l'OS garde au secret ses armes, est découverte.
Les dirigeants de cette même organisation sont, tour à tour, arrêtés
(Jebli), poussés au suicide (Sghir et Zerktouni), à la fuite (Houcine
Berrada) ou envoyés en exil au Nord (Fqih Basri et Bounaïlat). Leurs
pairs de La Main noire (Al Yad Assaouda) ont droit à un procès
expéditif. In fine, les résistants qui restent ne sont presque plus que
des téméraires livrés à eux-mêmes. Les autres ont pu, grâce à de faux
papiers et à des déguisements, se terrer et attendre.
Par ailleurs, l'extension de la localisation géographique de la lutte a
permis de créer plusieurs zones de turbulence hors de Casablanca. Sans
pour autant s'attaquer à des personnes, propriétaires terriens ou
autres contrôleurs civils, très puissants, les résistants de Khémisset,
Khénifra, Kelaat Sraghna ont recours à la politique de la terre brûlée.
Des milliers d'hectares de plantations sont incendiés en 1954. “Cela
démontre, selon Charles André Julien, que ces fellahs,
traditionnellement soumis au Glaoui et à ses caïds, commencent à
échapper à son contrôle”.
Les politiques reviennent, la lutte continue
En 1955, le parti de l'Istiqlal, revenu sur la scène, décide d'agir sur
deux fronts, politique et armé. Le premier est laissé aux soins
d'émérites avocats, comme Abderrahim Bouabid et autres leaders comme
Balafrej, Lyazidi et Ben Barka. Le second volet, lui, est assuré par la
direction de l'Armée de libération nationale (lire encadré), qui pilote
ses opérations à partir de Tétouan. Un accord de circonstance naît
alors entre Madrid, Tétouan et Alger. Comment ? “L'Espagne franquiste
était isolée de l'Europe des vainqueurs de la guerre. Aussi a-t-elle
accepté de tolérer nos quartiers généraux et l'acheminement des armes
dans sa zone, tant que notre cible était la région occupée par la
France”, explique Aït Idder. Un pacte est signé à cet effet à Madrid le
20 août 1956 avec le général Garcia Valino. Alger a, pour sa part,
d'excellentes relations avec l'égypte de Nasser, qui décide volontiers
d'armer les mouvements de libération au Maghreb. Entre Ben Bella,
Boudiaf et les dirigeants de l'ALN, ainsi que son intermédiaire avec
Madrid, Abdelkrim El Khatib, se tisse alors un accord tacite pour
profiter conjointement des largesses du Raïss. L'ALN essaie ainsi de
dépasser l'amateurisme dans lequel se sont confinées les organisations
secrètes. Leurs membres ont été priés jusque-là de se débrouiller
individuellement pour se procurer leurs armes.
à l'approche du deuxième anniversaire de la déportation de Mohammed V,
de vastes opérations sont menées, soit de manière organisée par l'ALN,
aux abords de Fès, de Taza et bien d'autres régions éloignées, soit
avec spontanéité, à Khénifra, Bejaad et Oued Zem (lire encadré). Dans
sa tentative d'aller mater les rebelles, le général Duval périt dans un
accident d'avion. “Il avait l'intention de commettre une tuerie”,
raconte l'un de ses assistants. Parallèlement, des attentats
spectaculaires ont lieu dans le fief de la résistance, à Casablanca.
Deux opérations en particulier, celle du bar de la Gironde, tenu par un
“terroriste” européen, François Avival, et celle du café de Mers
Sultan, menée par un certain Moulay M'barek, ne laissent pas les
Français indifférents. Mais la réaction des plus farouches opposants à
l'Indépendance a un effet boomerang. Les organisations fascisantes qui
se proposent de faire du “contre-terrorisme” commettent l'irréparable.
Elles attentent à la vie d'un célèbre défenseur de la cause marocaine,
le journaliste et homme d'affaires, Jacques Le Maigre-Dubreuil. Ce
dernier a osé écrire “il nous faut tirer un trait sur le passé. Nous ne
pouvons pas être fiers de ce que nous avons accompli au Maroc. Nous
n'avons pas fait notre devoir et nous n'avons fait que défendre nos
intérêts”. Conséquence directe de ce meurtre, l'arrivée du résident
général, Grandval, qui finit par dire à l'élysée : “Je suis venu sans a
priori. Finalement, tout, même l'action des résistants, me rappelle à
la question du trône”. Puis, les lobbies libéraux franco-marocains ont
fait le reste.
L'indépendance acquise, la résistance oubliée
Le retour du sultan ne met pas un terme à la lutte armée. Outre
l'intégrité territoriale à parfaire (la question est restée longtemps
en suspens), deux questions ne sont pas résolues. Que faire avec “nos
frères algériens” toujours sous le joug colonial ? Comment préserver
une autonomie et une crédibilité gagnées au prix fort, en l'absence du
roi ? “Dans une réunion à Madrid, la direction de l'Istiqlal, aussi
bien que les anciens officiers de la France coloniale, décident de nous
marginaliser, raconte Aït Idder. Balafrej refuse que nous rejoignions
la direction du parti dans une représentation équitable. Quant à
Oufkir, il refuse que l'on devienne le noyau des FAR”. La plupart des
résistants armés sont poussés à la fuite en avant, gagnent le Sud et
sont marginalisés politiquement. Les plus récalcitrants, comme Cheikh
El Arab ou Moulay Chafaï, se réfugient dans le maquis.
Sous le regard magnanime du roi sacralisé, les anciennes factions se
livrent à des luttes intestines (lire encadré) à propos de leur
étiquette politique (Istiqlal, Choura, communistes). En attendant,
Moulay Hassan mate l'AL-Sud au Sahara occidental, l'obligeant à
rebrousser chemin, et envoie ses dirigeants en prison. à leur sortie,
Oufkir propose à l'ensemble, avec sarcasme, de se réunir avec les
anciens officiers français dans un groupement commun. Quant à Hassan
II, il attendra 1973, alors qu'il recherche des voies de réconciliation
avec le passé, pour inviter toutes les figures de la résistance à se
doter d'une structure à part. Naît alors le très officiel Haut
commissariat des résistants et des membres de l'Armée de libération.
Elle s'avère, avec le temps, n'être qu'une coquille vide. Et les
résistants, tout juste des fantômes du passé, oubliés pour de bon.
Sources
et crédits-photos Sous la direction de Larbi Essakali ; Le Mémorial du
Maroc : Ed. Nord Organisation (1995) Thèse d'état de Mohamed Wahid ;
Contribution à l'étude du mouvement national marocain : La résistance
de Casablanca de 1952 à 1956 : Ed. Université Mohammed V (2000) - En
arabe Abderrahmane Senhaji ; Mémoires de l'histoire du mouvement de
résistance et de l'Armée de libération marocaine (1987) ; Collection
privée de Mohamed Ben Said Aît Idder
10 hommes-symboles.
Nos avenues portent leurs noms, mais nos manuels d'Histoire les ignorent toujours. Qui étaient-ils vraiment ?
Allal Ben Abdellah, le samouraï
Allal Ben Abdellah se fait connaître le jour de sa mort. Le 11
septembre 1953, cet artisan, tantôt peintre tantôt cordonnier,
originaire de Guercif, n'a aucune action de résistance à son tableau de
chasse. Militant de base du parti de l'Istiqlal à Akkari à Rabat, il
décide de faire le kamikaze contre le sultan malvenu, Mohamed Ben
Arafa. Ce dernier se dirige alors à la prière du vendredi à la mosquée
du Méchouar. Ben Abdellah se met sur la route du cortège, à bord de la
Ford cabriolet immatriculée 2460 MA 9, qu'il vient d'acheter à cette
fin. Intercepté par le sous-officier Robert King, il est abattu,
poignard à la main, par l'officier (algérien) Mohamed Belhouari. Huit
balles dans le dos, le samouraï n'est plus.
Houmane Fetouaki, la terreur
Le commerçant Mohamed Ben Brik Ben Brahim (plus connu sous le nom de
Houmane Fetouaki) a 52 ans lorsqu'il est contacté pour relayer la lutte
armée à Marrakech. Il est alors recruté pour deux raisons : sa relation
familiale avec le pacha Thami Glaoui et son attachement farouche et
insoupçonné à la cause nationale. Entre février et juillet 1954, il
constitue un réseau local qui sème la terreur. Coup sur coup, il cible,
sans succès, Glaoui lui-même, blesse Ben Arafa, rate de peu le Résident
général Guillaume en visite à la ville et abat le commissaire Maurice
Monnier. Mais, suite à l'assassinat du contrôleur civil Thivend, son
réseau est démantelé. Fetouaki sera condamné à mort par un tribunal
militaire et exécuté le 9 avril 1955 au pénitencier d'El Ader.
Ahmed Ou Moha Al Hansali le “serial killer”
Modeste agriculteur, Sidi Ahmed Ahansal (dit Al Hansali) fait parler de
lui le 13 mai 1951, lorsqu'il intercepte un véhicule de colons, leur
tire dessus et met la main sur les armes en leur possession. Ses
attaques se multiplient, contre des caïds, des contrôleurs civils mais
aussi de simples propriétaires terriens. La presse de l'époque le
baptise “le tueur de Tadla”. Dans la région, il fait l'objet d'une
traque à l'aveuglette à laquelle prennent part mille soldats. Il est
déclaré “wanted”, moyennant un million de francs. Finalement, le piège
se referme sur lui, en compagnie de son frère d'armes, Mohamed Smiha,
le 23 juillet 1951. Interrogés et torturés sous l'œil de Pascal
Boniface en personne, tous deux seront exécutés le 16 février 1952.
Brahim Roudani, le populiste
Dès 1952, Si Adi Addou Ben Brahim (Brahim Roudani) est un parrain de la
résistance casablancaise. Membre fondateur d'Al Mounaddama assyria
(l'Organisation secrète), cet homme riche (il avait une boucherie et
une usine d’eau de Javel) n'apprécie pas trop “la direction bourgeoise
de l'Istiqlal”. Sans pour autant passer à l'acte lui-même, il catalyse
les énergies meurtrières. Et joue, à partir de Casablanca, un rôle
majeur dans le renforcement de la résistance rurale, via un réseau
d'épiciers dans sa ville d'origine, Taroudant. Arrêté puis torturé au
centre de détention Darkoum en juin 1954, il en sort affaibli. à l'orée
de l'Indépendance, il tente de jouer le médiateur pour unir les
factions armées. Jugé populiste et peu fiable, il est attaqué et abattu
par quatre membres marocains du Croissant noir le 5 juillet 1956.
Mohamed Zerktouni, le leader
Ce jeune menuisier, issu de l'ancienne médina de Casablanca, est connu
pour son ubiquité. Membre dirigeant de l'Istiqlal à Casablanca, il joue
d'abord un rôle dans le démantèlement d'une structure ad hoc de lutte
armée. En 1951, il est l'un des fondateurs, aux côtés d'Abderrahmane
Senhaji, de l'Organisation secrète (0S). Il veille à la constitution
des cellules, s'occupe de trouver les armes et de les acheminer vers
Marrakech plus tard. Rompu au travail clandestin, il esquive les coups
de filet tendus après les opérations (Marché central, Rapide
Casa-Alger...) dont il est le maître d'œuvre. Vu ses dons de leader,
l'OS veut le protéger, en l'envoyant à Tétouan préparer la naissance de
l'Armée de libération nationale. Il refuse. Et le 18 juin 1954, la
police vient l'arrêter chez lui. Il se suicide en avalant une capsule
de cyanure.
Moulay Abdeslam Jebli, le stratège
Originaire de Marrakech, insaisissable, Moulay Abdeslam Jebli est l'un des rares à avoir joué un
rôle-clé dans la lutte armée, de bout en bout. Il est, en 1952, aux
côtés de Fqih Basri, le mentor du réseau El Fetouaki à Marrakech. Il
s'occupe de piloter, avec l'aide d'un certain Mohamed Bouyahya,
originaire de Tata, les réseaux de résistance armée au Sud. Il veille,
plus tard, avec d'autres dirigeants de l'Organisation secrète, à
“sécuriser le système d'information, de la base au sommet”. Arrêté en
octobre 1954, il fera preuve, à plusieurs reprises, d'une rare capacité
à organiser des fuites de prison. Sous l'Indépendance, il continue “la
résistance pour la démocratie”.
Ahmed Rachidi, le romantique
“Ne me bandez pas les yeux, laissez-moi voir le ciel bleu de mon pays”,
ainsi parlait Ahmed Rachidi, le 4 janvier 1954, face au peloton
d'exécution. Titulaire d'un CEP et maîtrisant bien la langue française,
cet illustre dirigeant de l'organisation La Main Noire a tué le
moqaddem Mohamed Ben Larbi pour, dit-il devant le tribunal, “donner un
exemple aux autres traîtres”. Le 5 octobre 1953, son compagnon de
cellule Mekki est arrêté à la mosquée Chleuh dans l'ancienne médina de
Casablanca. Sa cache d'armes, logée sous la scène du cinéma Rio, est
alors découverte et Rachidi tombe dans le panier.
Abdellah Chefchaouni, le héros
À Fès, la résistance se limite en grande partie à l'action politique.
Sous l'impulsion de Zerktouni, plusieurs tentatives sont menées pour
passer à l'acte armé. Finalement, le cordonnier Abdellah Chefchaouni se
montre le plus entreprenant. Principale action armée à l'actif de son
groupe, l'attentat contre le pacha Baghdadi à Bab Ftouh, le 1er mai
1954. Le collabo fassi s'en est tiré avec des blessures. Chefchaouni
faillit passer à la vitesse supérieure, en lançant une bombe au milieu
du cortège de Guillaume, mais il s'est rétracté. Arrêté le 23 mars
1955, son avocat traduit ainsi sa pensée : “Je ne suis pas un criminel
mais un homme libre qui défend sa patrie, sa religion et son sultan”.
Il est exécuté le 2 août 1955. Fès perd alors un héros.
Rahal Meskini, le campagnard
Cet originaire de la tribu de Beni Meskine a adhéré au parti de
l'Istiqlal à Kénitra en 1947, à l'âge de 21 ans. Il quitte la ville en
1952, au moment où la vie politique est mise à mort, et s'exile à
Casablanca. Là, il prend le train en marche au sein de l'Organisation
secrète et s'occupe de la région de M'dakra, autour de la ville.
Revolver à la main, il est réputé sans merci, autant avec les colons
qu'avec les marocains féodaux. En 1954, il est arrêté mais parvient, au
bout de quarante jours de torture, à prendre la fuite. Il périt le 17
décembre 1956 sous les balles de militants du Croissant noir. Une autre
victime des règlements de compte post-indépendance.
Haj Omar Lamzodi, le jihadiste
Ce tailleur, installé au Hay Mohammadi, est le fondateur de Jaïch al
Atlas (Armée de l'Atlas). En revenant de la Mecque durant l'été 1953,
il fait escale au Caire et va voir Abdelkrim qui l'incite à “apprendre
aux Marocains comment tuer les colonisateurs, ne serait-ce qu'avec des
faucilles ou des jets de pierre”. A son retour, Lamzodi constitue un
réseau, auquel adhéreront des hommes de Fetouaki, des hommes venus du
Sud, comme Hmidou Al Watani (Safi) et un certain Moulay M'barek, dit Si
Bouchta, auteur de trois actions-phares : la bombe au café Mers Sultan,
la grenade au Bar de la Gironde et l'attentat contre François Avival,
“terroriste européen”. Les armes que détenait Lamzodi et ses hommes
seront transférées à l'Armée de Libération nationale à Marrakech.
8 opérations phares.
Exécutions, poses de bombes, émeutes, acheminement d'armes... Les résistants ont ciblé autant les colons que les collabos.
La bombe du marché central
Jeudi 24 décembre 1953, en plein Noël, une bombe explose au Marché
central à dix heures du matin. L'opération fait dix-neuf morts, dont
une française, et quarante-huit blessés. Un certain Mohamed Ben Moussa
Al Ibrami se porte volontaire dans une réunion secrète, dirigée la
veille par Zerktouni, pour poser la bombe. Les bidons artisanaux,
remplis de bouts de fer, confectionnés dans un garage du quartier
Bouchentouf, ne sont prêts que tard dans la nuit. Le tout est mis au
point dans la précipitation. Résultat, deux autres bombes, posées
parallèlement aux Colis postaux et à la Poste centrale, ont la mèche
trop courte pour exploser. Mais l'exception Marché central suffit pour
que le résident général Juin promette “une lutte sans merci contre les
terroristes”.
L'affaire de l'imprimerie Al Atlas
En janvier 1954, Slimane Laraïchi, l'un des dirigeants de la lutte
armée, ramène de Tétouan un cliché de Mohammed V (introuvable à
l'époque) pour l'utiliser dans un tract. Pour ce faire, il s'introduit
la nuit du 6 février, aux côtés d'un groupe de résistants, dans
l'imprimerie de Mohamed Ghallab, Al Atlas. Après avoir acheminé une
première fournée de tracts, Zerktouni revient et trouve les lieux
encerclés par la police. Il s'enfuit. Hassan Sghir, l'un des acteurs de
l'opération, avale une capsule de poison. Il devient le premier
résistant suicidé de l'histoire du Maroc colonisé. Quant à Laraïchi, il
réussit à filer grâce à son gaillard de compagnon, Dahous, qui abat au
pistolet le commissaire Boyer. Les fugitifs iront alors de douar en
douar trouver refuge. Mais la répression s'abat sur leurs compagnons,
qui s'exilent au Nord.
Bombes sur la ligne Casa-Alger
Trois jours après la déposition de Mohammed V, le train reliant
Casa-Alger est déraillé, à 5 Km de la gare de Port Lyautey (Kénitra).
Bilan : un technicien mort et onze blessés. L'opération, menée par un
groupe de résistants dirigé par Bouchaïb Ben Omar, est plus
spectaculaire qu'efficace. Mais celle effectuée sur la même ligne, le 7
novembre 1953, par l'Organisation secrète, via Mohamed Mansour, fait
plus de dégâts. Ce dernier pose, à l'approche de Rabat, l'engin
explosif dans les toilettes de la deuxième classe. Il descend aussitôt
et monte dans la voiture du dirigeant Saïd Bounaïlat qui l'attend. La
déflagration retentit tout juste après le pont du Bou Regreg. Bilan :
six morts, dont deux Français et quatorze soldats blessés. Elle fera
date et les attaques contre les lignes ferroviaires se multiplient par
la suite.
Attentats contre Glaoui et Ben Arafa
En mars 2005, les mosquées de Marrakech sont le terrain des opérations
du réseau El Fetouaki. La première opération, le vendredi 5 mars, a
lieu à la mosquée Koutoubia, où deux bombes sont lancées. Le pacha
Glaoui, principale cible, en sort indemne, mais une trentaine de
musulmans sont blessés. Le 19 mars, le groupe de résistants marrakchis
récidivent à la mosquée Berrima, jouxtant le palais. Sachant que le
sultan mal aimé Ben Arafa y faisait sa prière, le jeune Ahmed Ben Ali y
pose une bombe. Le sultan, ainsi que six membres de sa garde
rapprochée, sont blessés. Glaoui s'occupe lui-même de liquider sur
place l'exécutant, connu sous le nom de “Oukkala”.
Exécution du Dr. Emile Eyraud
Avant sa mort, Mohamed Zerktouni a planifié le meurtre de l'un des
suppôts du régime colonial, le docteur Emile Eyraud, directeur alors du
quotidien La Vigie marocaine. L'opération sera exécutée deux semaines
après sa mise à mort. Le chef de l'opération, Driss Lahrizi, abat sa
cible par une balle dans le dos, à sa sortie du journal, le 30 juin
1954. Devant rejoindre ses frères d'armes, à côté du café La Chope,
Lahrizi est intercepté par des colons. Il tire alors sur eux. Une
fusillade s'ensuit. Il s'en sort avec un bras cassé et sera plus tard
condamné à mort. Quant à son acolyte Brahim Firdaous, il en sort
indemne. Un faux passeport en sus, il sera exilé au Caire en attendant
des jours meilleurs.
Attentat contre Pascal Boniface
En 1955, l'Organisation secrète que dirige alors Fquih Basri, à
Casablanca, charge Mohamed Sarjane et Ahmed Touil d'assassiner Pascal
Boniface, le chef de la région de Casablanca. Sa longévité (de 1944 à
1955) et sa défense acharnée des intérêts coloniaux ont rendu cet homme
intouchable. Les deux résistants le suivent à la trace. Le 10 mars, ils
le traquent à partir de l'avenue Foch, lieu de sa résidence. L'un des
deux tire sur Boniface, lequel simule la mort. à l'aide de ses gardes,
sa voiture redémarre et l'attentat tombe à l'eau.
Les armes acheminées à bord de Dina
En décembre 1954, Abdelkrim Khatib, Houcine Berrada et Mohamed Bensaïd
Aït Idder se mettent d'accord, au nom de l'Armée de Libération
nationale, avec leurs pairs algériens, Ben Bella et Boudiaf, pour
partager la cargaison d'armes provenant d'égypte, à bord du Dina. Le
résistant Brahim En Naïl s'occupe de gérer le transbordement des armes
devant parvenir au port de Kebdana. à l'arrivée de la cargaison en
février 1955, les Marocains récupèrent 96 fusils, 144 grenades et des
munitions ; les algériens ont droit au double. La résistance se prépare
à une guerre qui n'aura pas lieu.
Le soulèvement d'Oued Zem
Deux ans après la déportation de Mohammed V, le 20 août 1955, la
résistance urbaine s'abstient de manifester. à la surprise générale,
les manifestations les plus sanglantes ont lieu dans la bourgade d'Oued
Zem, où les quelque 800 habitants français se sentent chez eux.
Réprimés par les caïds locaux et les contrôleurs civils, des résistants
et autres agriculteurs portant les photos de Mohammed V ont attaqué des
lieux de commerce et des postes de police. Bilan, quarante-neuf
Européens sont morts. La répression, menée sous l'ordre du résident
général Grandval, fait officiellement 700 morts, chiffre que Charles
André Julien qualifie de “ridicule”.
4 organisations mères.
Les résistants n’étaient pas, loin s’en faut, des électrons libres et isolés. Revue des principales structures.
L'Organisation Secrète, (Al Mounaddama Assirya)
Au moment où le parti de l'Istiqlal est persécuté, des membres ultras,
dont principalement Abderrahmane Senhaji, Mohamed Zerktouni, Houcine
Berrada, Thami Noamane et Hassan Laaraïchi, créent le 7 Avril 1951 une
organisation armée qu'ils ont juré (sur le livre sacré) de tenir
secrète. Au fur et à mesure des arrestations, exils et autres fuites,
d'autres membres, comme Saïd Bounaïlat, Moulay Abdeslam Jebli et Fqih
Basri se sont joints au groupe en 1953 puis en 1954. Cet état-major
s'occupe d'orienter les cellules, constituées chacune de trois membres
seulement, de mettre à disposition les armes (surtout des pistolets à
l'origine), de distribuer les tracts, d’appeler au boycott, par
exemple, et de piloter des réseaux locaux, ce qui lui permettra d'avoir
des ramifications autant au Sud qu'au Nord. Mais, à la fin de 1954, les
arrestations successives de ses dirigeants et l'exil d'autres à
Tétouan, réduisent sa force de frappe.
La Main noire, (Al Yad Assaouda')
Ce groupement est né à Casablanca, au lendemain de l'assassinat du
leader tunisien, Ferhat Abbas. à l'initiative d'un fqih, Mohamed Talii
et bien d'autres istiqlaliens de base, dont un certain Moulay Tahar,
cheminot, trois groupuscules armés se sont formés dès décembre 1952.
Abdeslam El Kohen prend l'initiative d'en créer une branche à Fès, qui
disparaît rapidement, suite à l'arrestation de ses membres. L'aile la
plus connue de l'organisation porte le nom de “Cinéma Rio” à
Casablanca. Là aussi, le 5 octobre 1953, soixante membres, dont le
célèbre Ahmed Rachidi, sont interpellés. S'ensuit une dislocation de la
structure et un procès au tribunal militaire qui aboutit le 5 juillet
1954 à la mise à mort d'Al Yad Assaouda.
Le Croissant noir, (Al Hilal Al Aswad)
Après la disparition de La Main noire et la dispersion des membres de
l'Organisation secrète, des contacts sont pris en octobre 1954 au cœur
de la Nouvelle Médina (Derb Espagne) de Casablanca, pour perpétuer la
lutte armée. Hassan Glaoui, un artificier de bombes artisanales, Mehdi
Nammoussi et Mohamed Haddaoui parviennent à fusionner deux
mini-structures qui agissaient séparément. Des opérations à la bombe
sont menées ici et là. Suite à l'assassinat de l'ingénieur Armand Maré,
le 3 mars 1955, par une cellule à laquelle appartient, entre autres
résistants Bouchta Jamaï, une vague d'arrestations lamine le mouvement.
Le jeune Abdellah Haddaoui, précoce (il a 18 ans alors) prend le
relais. Il recrute à tour de bras. Après l'Indépendance, le Croissant
noir est traité de branche secrète des communistes ou encore de suppôt
de Lahcen Lyoussi. Il est alors victime des luttes intestines du
mouvement national.
L'armée de libération, (Jaïch Attahrir)
La direction de l'Organisation secrète, exilée à Tétouan, bénéficie dès
la fin de 1954 de la complicité espagnole. Abdelkrim El Khatib, un
médecin ayant le gage d'Allal El Fassi, sert d'intermédiaire à cette
fin. De nouveaux venus, comme Hassan Laârej, Abbès Messaadi, Abdelkébir
El Fassi, Mohamed Figuigui s'organisent sous la direction
d'Abderrahmane Senhaji, en vue de préparer des actions armées
d'envergure. Finie l'action secrète, la lutte armée devient visible et
est soutenue par les frères d'armes algériens. Un appel est lancé pour
que des anciens officiers de l'armée régulière française se joignent au
groupe. Un camp d'entraînement est organisé à côté de Nador, à Jnan
Romi, grâce au concours de Abdelkhaleq Torrès. Le 2 octobre 1955, les
premières opérations sont menées contre six sites marocains sous
occupation française. Après le retour de Mohammed V, la plupart des
dirigeants de l'Armée de Libération nationale (ALN) refusent d'être
noyés dans les Forces armées royales. Ils se sont par contre attachés à
parfaire le recouvrement des territoires colonisés. L'Armée de
libération du Sud, menée essentiellement par Mohamed Ben Lhassan Ba
Amrani et Mohamed Bensaïd Aït Idder, est accueillie par la tribu des
Aït Ba Amran à Sidi Ifni. Sans profiter des mêmes compromis espagnols
qu'au Nord, la direction de l'ALN s'organise, à partir de Sidi Ifni,
ouvre une brèche sur la côte atlantique pour recevoir les armes,
accueille ses hommes du Nord et de l'Atlas et invite des volontaires
sahraouis à rejoindre ses rangs. En 1958, l'opération écouvillon,
orchestrée par le prince Moulay Hassan et Paris, met fin à ses
aspirations pour récupérer le Sahara occidental. Depuis, la plupart de
ses dirigeants sont emprisonnés et les quelques survivants regagnent le
maquis, mais ils ne feront pas long feu
Portraits. La résistance au féminin
Au-delà
de l'image de la femme, précieux soutien de son résistant de mari, un
grand nombre de femmes précocement affranchies ont un temps embrassé la
résistance.
Fatma El Malkia.
Cette figure de la ville de Salé, pionnière dans la fabrication et
l'exportation de tapis vers l'Europe dans les années 70, s'est
illustrée tout au long des années 53-55 par un courage immense. Tête de
pont d'un réseau de résistants à Salé, elle permettra à de nombreuses
épouses de rendre visite à leurs maris réfugiés dans le Nord en leur
procurant faux passeports et argent. Elle fera également de son
domicile un lieu de réunion et une cache sûre pour les fugitifs.
Fatima Bent Allal.
Cette résistante de la ville de Oued Zem recevra une balle dans la tête
alors qu'elle assurait l'approvisionnement en munitions des combattants
lors de la bataille de Oued Zem du 20 août 1955.
Amina El Berhilia.
Membre de l'Istiqlal, anime à Oujda, dans la clandestinité, des
cellules féminines, leur faisant prendre conscience de la nécessité de
participer au mouvement pour la liberté, distribuant des tracts et
assurant le transport des armes. Lors d'une de ces livraisons, elle
échoue entre les mains des policiers français et passe un an à la
prison de Ain Kadous à Fès.
Khaddouj Zerktouni.
Sœur et bras droit du grand résistant , elle sera à ses côtés lors de
son arrestation. Elle subira tortures et exactions diverses et restera
longtemps entre les griffes des Français avant d'être relâchée en
piteux état.
“Ito”.
c'est sous ce seul nom qu'est connue cette femme mythique de Khénifra.
Elle sera la seule personne à avoir accès à Moha Ou Hammou Zayani
lorsque, recherché par les Français, il se réfugiera dans les
montagnes. Elle lui apportera vivres et nouvelles de la résistance et
se chargera de transmettre ses ordres à ses compagnons d'armes.
Maa El Ainine Oum El Fadel bent Cheikh Sidatou.
Digne descendante de El Hiba Maa Al Ainine, illustre chef de guerre,
elle s'illustre par son endurance et son courage lorsqu’elle doit
parcourir de longues distances dans le désert pour porter assistance et
nourriture aux éléments de l'ALS. Elle périt lors d'un bombardement
espagnol de Laâyoune.
Dilemme. Résistants ou terroristes?
Ahmed
El Hansali était-il un résistant ? Son exemple est parlant. Il est le
seul parmi ses pairs dont une avenue à Casablanca a cessé de porter le
nom. Pourquoi ? Il attaquait souvent des civils qui n'avaient ni
intérêt ni postes de responsabilité et encore moins un grade militaire.
La presse coloniale de l'époque, en tout cas, le traite de “tueur en
série”. Quant au journal nationaliste Al Alam, il le qualifie dans sa
nécrologie, de “grand résistant”. Des opérations ciblant des civils ou
présentées comme telles, comme l'attentat du Marché central, soulèvent,
en leur temps, des questions similaires. Or, vu de France, des journaux
comme L'Humanité et Le Populaire tranchent ce débat : “Tout comme nous
avons résisté par tous les moyens possibles contre les Nazis, les
Marocains résistent à leur manière contre une occupation qui ne dit pas
son nom”. Le résistant Ahmed Rachidi ne dit pas autre chose au juge qui
le traite de “terroriste”. En se référant aux définitions universelles,
l'historien Mohamed Wahid rappelle que “l'exploitation économique, la
violence politique et l'occupation militaire sont en soi une forme de
terrorisme d'état”. La riposte ne peut alors être que de la résistance.
D'autant que la France n'a pas respecté les termes du pacte du
Protectorat. Et c'est Thami Glaoui lui-même qui le dit (cyniquement)
aux Français, en marge d'Aix-les-Bains : “Je vous reproche de ne pas
avoir accéléré les réformes après l'exil de Mohammed V. Si vous l'aviez
fait, la situation n'aurait pas empiré”. Faute de résultats, donc, la
violence révolutionnaire est légitime. |